samedi 15 août 2009

Les arts plastiques en Irak sous Saddam

Les arts plastiques en Irak

La fonction politique de la création

Enfants chéris du régime… l’expression s’impose à nous telle une évidence lorsqu’on parle aux artistes irakiens. Le recours aux artistes au pays de Saddam Hussein tient de la ligne du parti, tant le culte de la personnalité fait partie intégrante de la ligne politique du Baâth.

Une enquête en Irak de Amine Esseghir

A Baghdad, les rues sont transformées en galerie même si le sujet est pratiquement unique pour tous et se résume à glorifier Saddam. Les références historiques pour les artistes de ce pays sont on ne peut plus claires.
Les vestiges de Babel, Hator et d’autres sites de la Mésopotamie sont là pour rappeler que l’on n’inscrit pas son nom dans l’histoire gratuitement.
Au travers des restes laissés aux générations futures, on comprend qu’il faille investir dans l’art et pour une entreprise aussi gigantesque que celle d’immortaliser, il faut recourir à une armée d’artistes.
Ils sont aujourd’hui nombreux, peintres, graphistes ou sculpteurs à vivre grâce à ce qu’ils créent. Tous ne le disent pas mais avant de pouvoir prétendre vivre de sa création il faut payer la dîme.
Les commandes publiques sont nombreuses en Irak. Les projets se comptent par centaines. A Baghdad comme ailleurs, l’Etat, à travers ses démembrements, doit élaborer des projets d’embellissement des artères et places publiques des principales villes du pays.
Après une pause qui a duré le temps d’un embargo, les affaires semblent reprendre. On a repris goût aux concours artistiques dans le pays.
Lorsque cela ne suffit pas, les chefs de Achira commandent, eux aussi, des œuvres aux artistes locaux. Hors de Baghdad, ils ne sont pas rares les tableaux réalisés sur céramique représentant Saddam Hussein avec la mention du chef de tribu qui a offert l’œuvre à la ville ou au village.
Selon certains, sur les grands projets, c’est Saddam Hussein, lui-même, qui propose et oriente les artistes lorsque l’Etat veut commémorer un événement ou décide d’immortaliser serait-ce celui de Saddam lui- même.
Le concours mis en place par le ministère de la Culture, en charge de promouvoir les arts et les lettres, permet de choisir un projet. Mais là aussi l’artiste est invité à modifier son œuvre selon ce "qu’imagine le Président, et ce dont a besoin le peuple".
C’est Moukhalad Al Mokhtar qui le dit. Cet artiste-peintre reconnu est aussi directeur du centre des arts Saddam.
Artistes fonctionnarisés ou asservis ? En tous les cas ils ne manquent pas de talents. Comble des paradoxes, dans ce pays au développement incertain, en proie aux conflits et aux guerres on peut vivre de son art.
L’Etat avait lourdement investi, avant la guerre et l’embargo, sur les artistes. A l’Institut des beaux-arts, qui dépend de l’université de Baghdad, ils sont nombreux les étudiants qui rêvent de devenir, eux aussi, des artistes. Malgré l’embargo qui avait interdit jusqu’à l’importation des mines de crayons, la création picturale ne s’est pas pour autant arrêtée.
Mieux, les conditions économiques ont fait que le marché de l’art irakien s’est développé peut-être plus que jamais auparavant.
Les sanctions ont interdit même la vente des œuvres artistiques irakiennes à l’étranger. Sortir une peinture d’Irak relevait de la contrebande. Pourtant les artistes aussi n’ont pas chômé.
Avant l’embargo, la moyenne de production était, pour la plupart, d’un tableau chaque mois ou chaque mois et demi. Aujourd’hui, c’est quasiment une exposition par mois. Cette dynamique insufflée par les sanctions se fait sentir notamment en Jordanie, devenue plaque tournante de l’art irakien. Les galeries ont ouvert en grand nombre à Amman, où l’on reconnaît une influence certaine des arts plastiques irakiens sur l’activité artistique en Jordanie.
Autrement, art et politique se confondent jusqu’à la mort serait-on tenté de dire. L’histoire de la sculptrice irakienne Leila Tahar est significative. C’est elle qui a réalisé le tableau en marbre de George Bush père que l’on piétine allègrement lorsqu’on pénètre à l’hôtel Errachid.
Elle a été tuée en 1996 après qu’un missile se soit abattu sur sa maison. Erreur de tir ? En Irak personne n’y croit.
Cela dit, les artistes ont pu dépasser les contraintes de l’embargo, peut-être ont-ils lutté contre lui jusqu’à l’épuisement, mais ils ont rarement, voire jamais, pu dépasser les contraintes imposées par le régime irakien. Un peintre exécute le tableau de Saddam Hussein comme il payerait une dîme ou un impôt.
Mais une fois cette formalité accomplie, l’artiste n’aura plus qu’à prouver qu’il a le talent nécessaire pour imposer son art au monde et des talents l’Irak n’en manque pas. Depuis quelques années, les artistes irakiens raflent tous les prix. Le dernier en date, Haïder Rabee qui a décroché le premier prix lors du Festival de la calligraphie de Téhéran.

Des chiffres effarants
Le marché de l’art en Irak n’a rien d’un caprice ou d’une vue de l’esprit. L’embargo avait poussé les artistes, comme les "trabendistes" locaux, à aller chercher des débouchés à l’étranger, histoire d’arrondir leurs fins de mois.
Des œuvres étaient proposées à moins de 20 dollars à des galeries de Amman durant les trois premières années de l’embargo, alors que le même peintre avait déjà vendu plus d’une fois une peinture à 1 500 dollars.
Un marché spéculatif est né alors que l’on demandait, notamment dans les pays du Golfe, à acquérir des tableaux irakiens. Par la suite, la réaction des artistes de par le monde a ouvert une brèche aux peintres et sculpteurs irakiens qui ont commencé à renouer avec les galeries en Europe.
Le marché a littéralement explosé. Pour la seule année 2001, le centre des arts Saddam a vu passé 18 460 tableaux destiné au marché local et international. Une galerie privée vend en moyenne 2 000 œuvres par an et des galeries en Irak il y en a. Sur la rue Abou Nouas, elles se suivent comme se suivent ailleurs les échoppes des dinandiers. Les clients en Irak ? Essentiellement des commerçants ou des nantis qui goûtent à l’art depuis peu. Faut-il comprendre qu’il s’agit là des nouveaux riches qui à la faveur d’un embargo ont mis la main sur le marché noir ?
A l’étranger, l’art irakien se vend surtout dans les pays du Golfe et au Liban avant d’atterrir en Europe. Ce développement, qui va dans tous les sens, a donné aussi des idées moins lucratives mais toutes aussi intéressantes.
Ainsi 14 000 œuvres ont été conservées à la galerie Saddam, témoignage d’un siècle de création artistique en Irak. Cette importante réserve est en attente de l’ouverture d’un musée des beaux-arts irakien qui reste à créer.
Par ailleurs, les commandes publiques ne s’arrêtent pas. D’ici à la fin 2003, 12 sculptures monumentales doivent être achevées à Baghdad, dont la stèle de l’intifada, le fameux tapis volant, les deux drapeaux – irakien et palestinien – enchevêtrés et les jets d’eau du Coran. Dans les autres départements, 18 œuvres sculpturales sont en cours d’achèvement. Ils ne sont pas moins de 500 sculpteurs confirmés et apprentis à travailler sur ces œuvres.
Entre autres œuvres monumentales à créer prochainement à Baghdad, l’Avenue des rois, califes et chefs d’Etat qui ont dirigé l’Irak depuis les Assyriens jusqu’à l’ère moderne.
Pour la seule période assyrienne, ce sont 116 rois en plus de la reine Sémiramis. Aujourd’hui, on estime qu’une moyenne de 10 statues par mois sont produites. Saddam Hussein est, bien entendu, premier au top 50 de la statuaire irakienne.

A.E.


Moukhalad Al Mokhtar

Artiste malgré tout


Lorsqu’on le rencontre on reconnaît immédiatement l’artiste et l’intellectuel complet qu’il cultive jusqu’à l’apparence. Pourtant, on ne manquera pas de nous dire qu’il est aussi une sorte d’artiste officiel.
Arabe, baâthiste jusqu’au bout des pinceaux, il revendique son identité. Il fait partie de Djeïch Al Qods, cette armée de volontaires créée par Saddam Husseïn devant aller libérer un jour Jérusalem. Un premier rendez-vous avec lui sera reporté parce que justement il était aux exercices militaires.
Moukhalad est aussi directeur du centre des arts Saddam. Cette galerie, centre culturel, est aussi le gagne-pain de centaines d’artistes irakiens. Grâce à ses liens avec de nombreux artistes dans le monde, Moukhalad fait partie de ceux qui ont essayé de lever efficacement la chape de l’embargo sur les artistes irakiens.
Le centre qu’il dirige est autofinancé par les artistes grâce aux œuvres vendues. "Nous prélevons 10% du prix de vente des tableaux " explique-t-il. C’est aussi par ce biais que les œuvres irakiennes ont retrouvé quelque peu leur prix réel sur le marché international de l’art et surtout qu’a cessé le bradage et la saignée. "Si l’embargo cesse nous somme prêts à aller racheter les œuvres irakiennes de valeur", indique-t-il.
Pourtant dans ce centre, où souffle un extraordinaire air de liberté artistique et même une sorte de défi permanent, se déroulait une exposition des portraits du président Saddam déclinés selon les différents mode d’expression. Le premier tableau de 2mx2m que l’on rencontre dans cette exposition est celui de Moukhalad identifiable à la technique et aux thèmes qu’affectionne l’artiste (calligraphie et répétition des formes). Pour Moukhalad, il n y a pas d’art sans liberté, il explique aussi que le président Saddam "a accordé toute liberté à l’artiste". Artiste officiel ou propagandiste ?
Homme de conviction c’est certain mais toujours artiste. Alors qu’il me présente quelques- unes des œuvres destinées à une exposition devant se dérouler à Ulm en Allemagne, j’apprend qu’il s’agit de la seconde du genre dans cette même ville. La dernière s’est déroulée en 2001, et sur 29 œuvres présentées 22 tableaux ont été vendus en trois jours. Pour la nouvelle exposition, 80 tableaux vont être exhibés, ils ont été réalisés en moins d’une année.
A.E.

Article publié in le quotidien L'Actualité (Alger) 07/11/2002


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