vendredi 13 novembre 2009

Le jour où la France a envahi Alger


L'attaque de l'amiral Duperré lors de la prise d'Alger en 1830

A l’origine du 1er novembre 1954
L’invasion d’Alger en juin 1830

L'histoire officielle veut que ce soit le coup d'éventail – un chasse-mouches en fait – asséné par le Dey Husseïn au consul de France Deval qui fut à l'origine de la prise d'Alger.

Deval venait présenter ses hommages à l’occasion de l’aïd Esseghir au dey alors que le roi d’Alger s’impatientait de voir la France honorer une vieille dette liée à des livraisons de blé trente ans auparavant*. En fait, si l’histoire se résumait aussi simplement, on se demanderait comment d’aussi honorables militaires et politiques ont pu commettre ce qu’ils ont commis en Algérie dès qu’ils ont pu envahir Alger. C’est consternant. Tous les témoins crédibles de l’époque et les historiens sérieux d’aujourd’hui indiquent que les prétextes trouvés pour envahir Alger se multipliaient au gré des discours. Tantôt c’était pour laver l’honneur bafoué d’un diplomate, tantôt c’était pour redonner du prestige au trône brinqueballant de Charles X. On expliquait même parfois que la conquête de l’Algérie, Etat lointainement vassal de la sublime porte, affaiblirait la Turquie ottomane et permettrait même de créer un grand Etat arabe sous la domination d’un roi d’Egypte totalement soumis à la France. Il reste que les visées coloniales sont bien réelles et, plus grave que cela, seule la rapine motivait les soldats et leurs sponsors de l’époque. La prise d’Alger ne fut pas une promenade de santé. Loin d’être une mince affaire, elle avait été menée seize fois auparavant, dont six menées par la marine française et qui se sont soldées par de cuisantes défaites. Celle de 1830 n’en était pas moins dépourvue de risques, d’où le choix compliqué de Sidi Fredj (prononcé alors par les français Sidi Ferruch). On décida de mettre les moyens cette fois-ci. Ce n’était pas moins de 37 600 hommes qui avaient été réunis dans leurs cantonnements aux environs de Toulon et de Marseille. Pour donner toute la dimension historique à l’événement, on compta au nombre des conquérants des poètes, des écrivains, des comédiens de théâtre. On embarqua même une imprimerie qui publia dès que l’armée débarqua sur la plage de Sidi Fredj le premier numéro du journal «l’estafette d’Alger». On rassembla également 4500 chevaux, 91 pièces d’artillerie. L’armée était dirigée directement par le général de Bourmont, ministre de la guerre et la flotte était commandée par l’amiral Duperré. Et quelle flotte ! C’était plus de 600 bâtiments, dont 103 navires de guerre divisés en trois escadres et on comptait sept bâtiments à vapeur, avisos et remorqueurs de faible tonnage. Pour les historiens de la marine, l’expédition d’Alger fut certainement le dernier exploit de la marine à voile. Un tel déploiement de forces allait prendre aussi du temps. L’embarquement des troupes commença le 11 mai 1830 et elles prirent le départ le 25 du même mois. Au bout de cinq jours de mer, les navires arrivèrent en vue de la côte d’Afrique, mais faute de vent favorable, la flotte dut se replier sur les Baléares jusqu’au 9 juin, et ce n’est que le 12 qu’Alger apparut à la vigie.
Pourquoi Sidi Fredj ?
Attaquer Alger par la mer ne rimait à rien. C’est à peine si on maintenait un blocus, plus contraignant pour les marchands que véritablement utile sur le plan politique ou militaire.
Dans sa «Relation de l’expédition d’Afrique en 1830 et de la conquête d’Alger» un certain Edouard Ault-Dumesnil raconte : «L’histoire avait été interrogée, et ses réponses, que les adversaires du projet alléguaient sans cesse pour prophétiser l’anéantissement inévitable de la flotte et de l’armée expéditionnaire, offraient, à qui savait les y voir, les plus précieuses instructions et toutes les garanties de succès moralement désirables (…)
Dès 1829, le ministre de la guerre fit rechercher tous les documents historiques et statistiques qu’on put trouver dans nos dépôts d’archives et dans nos bibliothèques. Celui qui rapporte ici ce fait a été employé à ce travail. L’ouvrage de l’Anglais Shaw et celui du consul américain Shaler fournirent des notions qui méritaient d’être recueillies. Mais la stratégie n’avait de guide que la reconnaissance générale de la ville, des forts et batteries d’Alger, présentée au ministre de la Marine Decrès, en 1808, par le chef de bataillon du génie Boutin. L’exactitude qui distingue le travail de cet officier intelligent et la sagacité de ses explorations, faites en 1806 et 1807, ont été utiles. Il indiquait la presqu’île de Sidi-Ferruch comme le point où devait être opéré le débarquement. On suivrait de là, disait-il, un chemin d’une pente presque imperceptible, tout à la fois éloigné de la vue des forts et de la plaine, où la cavalerie est à craindre, et qui conduit droit à l’emplacement du camp et du point qu’il faut attaquer le premier. La raison de la nouveauté est encore à mettre en ligne de compte. Plusieurs tentatives ont été faites et ont échoué dans la rade ; il faut donc s’adresser ailleurs. Les Turcs sont routiniers et superstitieux; ils ne manqueraient pas de dire : on voit bien que ce sont des Français, ils ne s’y prennent pas comme les autres. II ajoutait : «Le château de l’Empereur est le point dominant de toutes les fortifications. C’est donc le château de l’Empereur qu’il faut attaquer le premier ; on pourra de là battre la ville.»
Et les Turcs dans tout cela ?
Les chroniqueurs de l’armée française rendaient compte de l’étonnement des militaires devant la faiblesse de la résistance des forces armées locales, notamment turques.
Dans «Histoire des colonies françaises», un livre rare édité en 1930, on peut lire que l’ennemi n’opposa qu’une très faible résistance ; au consul des États-Unis qui s’étonnait qu’il laissât ainsi débarquer tranquillement l’armée ennemie, Hussein répondit que c’était afin de la détruire plus facilement. Une vue de l’esprit, car si tant est que le Dey ait dit cela, il n’ignorait pas que les Turcs, lui en tête, étaient plutôt occupés par les intrigues de palais.
Finalement, ceux qui pouvaient défendre la ville, le dey Husseïn notamment, étaient impuissants à le faire et les autres voyaient d’un œil intéressé cette occupation française si elle favorisait leurs ambitions. C’est Hamdan Khodja, témoin inespéré de cette période, qui laissa un livre fort intéressant, «le miroir», publié trois ans à peine après l’invasion française, qui a donné le seul point de vue algérien valable historiquement de ladite conquête.
De Bourmont avait bénéficié des machinations du Khaznadji Brahem, sorte de ministre des finances du dey qui espérait tout simplement devenir dey à la place du dey.
Le chef militaire à même d’organiser une résistance effective, Yahia Agha, avait été destitué des suites d’un complot mené par le Khaznadji qui put faire nommer Ibrahim Agha, son gendre, à ce poste.
Yahia agha, agha des arabes, chef militaire en butte jusqu’en 1828 aux révoltes de Kabylie, avait été destitué puis exécuté sur la base de soupçon de trahison. Yahia Agha était chargé entre autres d’approvisionner les garnisons côtières en nourriture. Les comploteurs à la solde du Khaznadji introduisirent au moment de la livraison des produits avariés. Les protestations arrivèrent très vite aux oreilles du Dey. Yahia Agha était accusé de faussaire et Brahem Khaznadji expliqua que Yahia Agha voulait pousser les janissaires à la révolte. Il est vrai que le contexte de l’époque rendait le dey soupçonneux. Husseïn trop de fois averti des risques de complots que pouvait fomenter Yahia Agha décida que cette fois fut la bonne et le condamna à mort. Celui-ci fut étranglé avec un cordon de soie savonné comme le voulait la coutume turque.
Un blocus maritime français avait réduit à néant la course, source de beaucoup de profits. L’interdiction du commerce des esclaves chrétiens avait aussi réduit considérablement les capacités d’enrichissement de la régence. Le paiement des soldes ne se faisait que sur le trésor de la régence, une fortune considérable mais qui n’était pas inépuisable. Il semble aussi que ce soit cette fortune qui fut la cause et la raison de l’invasion française et non un quelconque sursaut d’honneur après la dignité bafoué d’un consul que tous exécraient.
Le dey qui ne croyait pas non plus au succès d’une invasion terrestre se sentait confiant grâce à ses quelques batteries de canon situées à l’ouest d’Alger. La prise de Staoueli ouvrit la porte de la route d’Alger alors qu’elle avait été abandonnée lâchement par Ibrahim Agha qui laissa au soldat français tapis, pièces d’ors, armes. Un butin qui avait aussi ouvert l’appétit au petits soldats venus en pillards autant qu’à leurs chefs qui lorgnaient sur le mythique trésor d’Alger.
Les turcs abandonnant Alger laisseront quand même un poème devenu une célèbre chanson dans les environs d’Ankara sur les airs d’une musique très dansante de cette région de Turquie et qu’un certain Hasan Yelmaz ou Adem Aydach continuent de chanter de nos jours.** Une chanson en guise de souvenir d’une défaite et d’une inconséquence dont la musique n’a pas fini de nous chauffer les oreilles.
Par Amine Esseghir
In Les Débats du 28 octobre au 3 novembre 2009

* C’était le 30 avril 1827 à la veille de l’aïd de la fin du ramadhan que Deval se présenta à la Casbah pour saluer Hussein Pacha. A cette cérémonie très officielle où notables, militaires et consuls sont présents, Deval faisant montre d’une arrogance inhabituelle – c’était un homme connu surtout pour être un affairiste véreux et un diplomate trouble – demande au dey de prendre sous sa protection un navire du Saint-Siège arrivé qui mouillait au port d’Alger. Le dey avait indiqué que le consul demandait des choses sur des questions qui ne concernent pas la France et refuse dans le même temps de répondre aux lettres qu’il lui adresse. Hussein dey avait apostrophé Deval à propos d’une lettre écrite le 29 octobre 1826 au ministre des Affaires étrangères, le baron de Damas, et restée sans réponse. Deval qui ne parlait pas très bien le turc répondit à Husseïn dans la langue des ottomans que son maitre, le roi de France, n’avait pas de réponse à faire «à un homme comme toi».
Le ton monte, le dey, considérant les propos insultants, soufflette avec son chasse-mouches Deval et ordonne au consul de France de quitter la Casbah sur-le-champ. Dans les jours qui ont suivi, le gouvernement français demande à Deval de quitter Alger s’il n’obtient pas des excuses du dey Hussein, qui refuse de les lui présenter.
La France déclare la guerre à la Régence le 15 juin 1827. Des navires bloquent l’accès du port d’Alger. Le dit coup d’éventail avait permis au consul de se sortir d’un guêpier dans lequel il s’était mis lui-même en promettant au dey d’Alger que la France honorerait des dettes contractées trente ans plus tôt auprès de la Régence.

**Voici un extrait du poème :

Cezayir’in harmanları savrulur
Savrulurda dört bir yana devrilir
Cezayir anam canım Cezayir
Sokokları mermer taşlı
Güzelleride hilal kaşlı
Cezayir Vay

Les tarares (sorte de jatte en palme tressée) d’Alger sont jetées en l’air
Elles sont jetées et dispersées partout
Alger ma mère, ma chérie Alger
Tes rues de marbre
Ont la beauté des sourcils en forme de croissant
Ou la la Alger !

Pour écouter la chanson


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