Ce papier est une contribution à une sorte de blogue sur le journal Québecois "le devoir" en 2008.
Le Québec rêvé d'un candidat à l'immigration
Appelons le Mohamed, il est Algérien. Il est âgé de 40 ans, il est marié, il a un enfant. Il jouit d'une bonne situation professionnelle dans son pays, passe même pour une célébrité dans son milieu, du fait de ses compétences professionnelles, mais préfère tout quitter pour une autre vie qu'il imagine plus intéressante, plus en conformité avec ses convictions et ses croyances, même s'il sait qu'en s'appelant Mohamed comme le prophète de l'Islam, son prénom va dorénavant résumer son identité.
Il aura attendu longtemps que Immigration Québec lui réponde et le convoque à un entretien qui va changer sa vie. Il n'imaginait que l'attente soit aussi longue.
Il accepte d'être considéré à tort comme un immigré économique, lui qui imagine qu'il a toutes les chances de « jouir » d'un statut inférieur à celui qu'il a dans son pays, juste pour vivre selon ses convictions quelles qu'elles soient. D'ailleurs, il le sait, son prénom comme son origine, le poursuivront dorénavant lui qui fuit son pays peut-être aussi à cause de ses origines et de la religion de ses pères. Il imagine pourtant qu'un pays (mais est-ce un pays ?) qui a adopté la charte des droits et libertés capable de le laisser vivre en paix, selon ses convictions, que ne reflètent pas forcément son prénom et son origine ethnique. Imagine-t-il ce que sont les accommodements raisonnables ? Trop compliqué à imaginer, il n'est pas encore totalement Québécois pour pouvoir croire qu'un système aussi généreux puisse générer des problèmes aussi révélateurs d'une supposée haine des autres. Une haine que jamais personne n'a rencontré ni dans les rues ni dans les agences immobilières et qui n'existe finalement que dans les esprits tortueux de quelques policiers musiciens.
Mais au fond à quoi ressemble le Québec qu'il imagine ? Un eldorado ou un endroit qui garantit simplement trois repas équilibrés par jour - le petit déjeuner, le dîner et le souper - et également des hôpitaux modernes ? Les trois repas, n'ont pas tout à fait le même nom ou du moins ne sont pas pris aux mêmes moment dans son pays, mais ils lui sont garanti chez lui contrairement à ce que pensent certains Québécois et il est largement improbable qu'il en soit privé dans son pays, qui certes n'a pas rejoint la cohorte des pays à plus de 10000 dollars de PIB per capita. Québec n'offre pas non plus le meilleur système de santé du monde, Mohamed a pu lire ce que les journaux ont écrit à propos des 300 pages du rapport Castonguay. Mais finalement cela n'a pas beaucoup d'importance, puisqu'il semble qu'on ne meurt ni de la peste ni du choléra au Québec. Cela dit, on passe beaucoup de temps dans les salles d'attentes des hôpitaux faute de médecins quand des médecins algériens ou marocains immigrés ne trouvent pas de travail au Québec pour de vagues histoires d'examens d'équivalences que personne ne pourrait réussir, pas même ceux qui élaborent les questionnaires, dit-on. Le Québec rêvé dans ce cas serait celui qui finalement garantirait les chances d'équités suffisantes pour que justement on n'ait pas matière à critiquer les examens d'équivalences des médecins ou encore les hôpitaux surpeuplés.
Mais le Québec qu'il imagine n'est pas pour lui, mais pour son enfant. L'imaginaire c'est le rêve, le rêve d'une vie meilleure qu'il veut offrir à son petit quand lui ne se fait plus beaucoup d'illusion sur son propre avenir.
Il imagine une vie paisible de travailleur qui aura refait cinq formations en quatre ans pour tomber dans les statistiques et trouver finalement l'emploi conforme à ses compétences. D'ailleurs il imagine mieux être dans ces statistiques là que dans les 30% de chômeurs issus de l'immigration en provenance d'Afrique du nord.
Mais pourquoi choisit-il le Québec pour se retrouver à imaginer l'invraisemblable ? C'est certainement une des dernières contrées dans le monde qui offre généreusement l'occasion de refaire sa vie en ce début de XXI e siècle. D'ailleurs, il préfère choisir le pays de son immigration que de laisser l'improbable "immigration choisie" le compter parmi les heureux élus. Et puis au Québec on parle français, comme chez lui. Enfin, pas tout à fait le même français mais il imagine que quelques expressions Québécoises ne sont pas difficiles à apprendre et pour l'accent, c'est lui qui en aura un dès qu'il aura débarqué à Montréal.
Il aurait voulu imaginer qu'un pays qui craint de voir sa langue et sa culture disparaître en 2076 accueille ses immigrants en leur chantant «gens du pays» à leur arrivée au lieu de la chanson du policier. Certainement que ce ne sera ni l'une ni l'autre des chansons qu'il entendra, mais il devra se hâter d'apprendre « Ô Canada » et prêter serment d'allégeance à la reine, lui qui n'a connu que la république. Le Québec, république rêvée ou imaginée, il le partagera finalement avec d'autres Québécois qui comme lui imaginent vivre un jour dans un pays indépendant.
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