samedi 29 août 2009

Autre quartier autre bidonville

Frais Vallon, Larbaâ et les autres

Un pays à l'abandon

Des quartiers périphériques où l’on cultive ses aigreurs, ses frustrations et un sentiment d'abandon et où le langage de l'espoir n'a pas prise. Une route qui monte, éclairée dans l'obscurité naissante par les seuls phares de la voiture. Une route complètement défoncée si bien qu'on on imagine aisément qu'elle a été bombardée récemment.

A la lumière des phares on cherche les plaques d'asphaltes pour éviter le chaos de la route. De l'eau qui coule d'une conduite cassée, depuis plusieurs jours nous dit-on, rend la chaussée glissante. La voiture dérape légèrement dans les virages en épingle à cheveux. De temps à autre, la lumière blafarde de quelques lampadaires encore fonctionnels éclaire les alentours peu accueillants et soulage un instant le regard dans une halte visuelle avant de sombrer encore dans le noir et rouler, tout phares allumés, pour éviter les nids de poules, les crevasses et même les rigoles creusées par les inondations du 11 novembre 2001 qui traversent la route de part en part. Elles ont été couvertes de grilles de protection qui soit ont disparu, soit sont aujourd'hui mal posées au risque de casser quelque chose sous le véhicule si le conducteur, dans un excès de confiance, passe un peu trop vite sur l'une d’elles qui s'est retrouvée à la verticale.
L'ambiance est morose. Quelques magasins qui ponctuent la distance donnent un tant soit peu l'image d'un quartier presque ordinaire. Mais on est étonné par la modestie des lieux. Peu d'investissement, si ce n'est que l'on a rapproché des points de ravitaillement des populations locales par la grâce de l'initiative d'individus. C'est du commerce, mais bien utile quand on habite aussi haut perché. Des magasins d'alimentation générale, des marchands de fruits et légumes faisant également dépôt de pain, sans plus.
Mais ce qui frappe, c'est bien l'absence d'urbanisation au sens classique. Peu de «cubes» avec garages au rez-de-chaussée et trois étages de logements au dessus. Pourtant, la foule des passants, les fourgons et bus qu'on croise la nuit déversent et ramassent des passagers, des gens du coin. Ils habitent les fourrés et les bois environnants, dans les bidonvilles qui s'y cachent.
Bien entendu, il n y a aucune découverte étrange dans ce périple. Nul n'ignore l'existence des baraques de Frais Vallon, de Oued Koriche sur la rue Mohamed-Chebine, mais on fait tout pour oublier leur existence.
On nous apprend que les bus ne commencent à circuler qu'à partir de 9h 00 dans le quartier et ceux qui veulent rallier la ville plus tôt doivent y aller à pied ou espérer croiser un taxi. En fait, la ville n'est située qu'à quelques mètres. La civilisation et ses grandes réalisations, une trémie toute neuve et une route goudronnée convenablement sont en contrebas du quartier, qui s'adosse à Djebel Koukou.
Ici on se souvient du terrorisme, de Flicha, des inondations ; on s’en rappelle si bien que l'on constate avec rage surtout que rien n'a changé depuis des années. Certes, de grands travaux sont menés à grands renforts de moyens pour le curage de l'oued, mais est-ce que ce seul chantier explique la désolation des lieux ? Le sentiment le mieux ressenti est la frustration et la pénible impression d'avoir été totalement oublié. Les inondations ont constitué, pour un temps, un espoir de voir les choses changer, puis on a commencé à attendre et à prendre son mal en patience.
A quelques kilomètres de là, dans la Mitidja, Larbaâ, qui souligne que la réconciliation est passée par là. On y va sans risque de se faire égorger de jour comme de nuit, mais dans tous les cas, il faut savoir être prudent. Là aussi les quartiers récents, les lotissements nouvellement délimités (en fait ils datent de plus de quinze ans), n'ont de neuf que le béton et les murs inachevés des nouvelles constructions légales ou illégales. Les routes sont un bourbier en hiver et des pistes défoncées impraticables et poussiéreuses en été. On s'affaire certes à mettre en place les trottoirs pour délimiter les îlots et urbaniser un tant soit peu des lieux. Mais les travaux sont lents à se faire et puis, il paraît que les VRD n'ont pas été encore réalisés, alors il faudra attendre que l'on creuse d'abord.
La route comme la ville auront longtemps cette image de chantier interminable. Là aussi, le sentiment d'être livré à soi-même semble prédominer chez les habitants du coin.

Les oubliés
Les exemples de ces quartiers, situés parfois à quelques centaines de mètres du centre-ville de la capitale ou constituant une banlieue involontaire d'Alger, peuvent être multipliés des dizaines de fois autour de la capitale et des grands centres urbains et chefs-lieux de wilayas.
Si effectivement, il ne s'agit pas de centres importants qui nécessitent de grandes infrastructures, on continue toutefois d'y vivre les affres de l'oubli. Les quelques habitants avec qui nous avons discuté semblent voir encore une fois un train passer à grande vitesse, eux-mêmes restants sur les bords de la voie. Ce train est celui de l'instruction ou de la santé. Les enfants des lotissements des communes de Larba ou de Meftah doivent toujours faire des kilomètres pour rejoindre l'école, passer parfois une journée sans avoir droit à un repas chaud. On peut ensuite deviser sur le phénomène de la déperdition scolaire. Un sentiment sourd de «hogra» parce que le développement, en 2006, semble tarder à venir alors que le pays compte quotidiennement ses recettes d'hydrocarbures et ses dettes remboursées par anticipation. «Nous n'avons pas vu cet argent ici», indique en souriant Mohamed, épicier à Larbaâ.
Finalement, les éléments apparents, ceux qui ont prévalu avant que la déferlante islamiste ait failli tout emporter en enrôlant des centaines de jeunes qui ne voyaient aucun espoir poindre dans une aventure sanglante et sans issue, sont toujours d'actualité. Une guerre civile (finalement il faut bien appeler les choses par leur nom) et une réconciliation nationale plus tard, les éléments constitutifs du terreau de la révolte sont omniprésents. Identiques et aussi forts qu'en 1990. Ils renvoient à des images qu'on avait cru disparues en 2006, mais ils rendent, par dessus tout, l'image d'un pays à l'abandon.
Amine Esseghir

In Les débats du 27 septembre au 3 octobre 2006

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