lundi 17 août 2009

Le chaâbi dans le texte.

Un article inspiré par un genre musical écouté depuis plus d'un siècle et dont les textes remontent à cinq cent ans pour certains. Un papier fait pour le plaisir et qui rapporte un prix international, n'est ce pas génial ? Publié dans l'hebdomadaire les débats en mars 2006.
Primé par le Euromed Heritage journalistic award (mention spéciale du jury).

Un patrimoine immatériel d’une extraordinaire vitalité

Le chaâbi dans le texte


Bonne nouvelle pour l’humanité. Il existe un patrimoine immatériel qui n’est pas menacé. Il s’agit du genre musical chaâbi(1). Ce n’est pas le seul exemple dans le monde, heureusement, mais en ce qui nous concerne, nous Algériens et Maghrébins, il est un des rare vestige historique culturel entièrement pris en charge par la société sans recours aux aides publiques et aux politiques de préservation, intervenant en retard, à grand frais et dont l’efficacité est sujette à caution.
Pour le plaisir qu’il procure à ses auditeurs et à ses mélomanes, pour sa possibilité à animer les fêtes familiales et probablement parce qu’il reflète ce paradis perdu dont on nous bat les oreilles mais que les doctes ouvrages d’histoire ont du mal à rendre les images. Pour toutes ces raisons et pour d’autres aussi, et grâce à la «solidarité mécanique» – dixit Bendameche – le chaâbi, genre musical qui a mis en chansons des poèmes qui ont entre cinq siècles et une journée d’âge, demeure extraordinairement vivant.

Dans une langue qui plonge profondément ses racines dans la rocaille et le sable chaud de la langue des hilaliens - ces Arabes venus, entre les IXe et le XIe siècles, arabiser l’Afrique du nord – mais qui resplendit des vergers printaniers en fleurs et de la fraîcheur des côtes battues par les embruns du Maghreb, les poètes du melhoun ont donné à une des langues autochtones de cette région ses lettres de noblesse. D’ailleurs, comment l’appeler, chaâbi ou melhoun ? Autant demander à choisir entre thé ou café, le plaisir est identique.
Le maître fondateur de la tradition poétique demeure, de l’avis des spécialistes, Lakhdar Benkhlouf, qu’on appelle Sidi et qu’on vénère comme un saint. Son mausolée est visité et entretenu, près de Mostaganem. Au XVIe siècle, il a mis en place les jalons essentiels de cette forme poétique dont s’inspireront les plus célèbres, tels Ben Msaïeb ou Ben Triki. Comme perpétueront sa tradition les poètes du XIXe siècle de l’extrême ouest du Maghreb, aujourd’hui le Maroc, même si ceux-ci préfèrent se référer à leur «jalonneur » local, El-Maghraoui. Nulle distinction nationale entre ces poètes d’une même région du monde qui enchantent les populations d’au moins trois Etats, aujourd’hui. La plus grande difficulté serait de vouloir résumer en quelques mots le phénomène melhoun ou chaâbi. La richesse de l’histoire comme des textes est telle qu’aujourd’hui, ce sont carrément des thèses qui sont soutenues par des universitaires qui permettent de cerner, non pas le genre poétique – pour cela des encyclopédies ne suffiraient pas – mais la personnalité, la vie et l’œuvre d’un poète. Ces poètes ont pour noms Abderrahamane El-Mejdoub, Qadour Al-Alami, Mohamed Benali et d’autres.

Des textes quasi-sacrés
Benkhlouf avait construit sa poésie sur les référents religieux. Il indique qu’il avait vu en songe le prophète Mohamed 99 fois et avait scellé, en songe également, un pacte avec le Prophète de l’islam. L’accord stipule que celui qui habite de Sous, au Maroc, au mont Lakhdar en Libye et qui apprendrait par cœur un vers de Lahkhdar Benkhlouf serait épargné des feux de la géhenne. Peut-être que le paradis n’est pas forcément promis à ceux qui ont assimilé les poèmes de Benkhlouf, mais on peut se demander si cette prophétie n’a pas assuré à ses poèmes l’immortalité.
Pour Ahmed Amine Delaï, anthropologue spécialiste des arts populaires, la région géographique couverte par la baraka de Benkhlouf est celle qui a été peuplée par les Maghraoua, sa tribu originelle, la même tribu que celle de son contemporain, le poète El-Maghraoui qui vivait à Fès. Poète inspiré et mystique, Benkhlouf était aussi un génie du verbe qui a laissé aux chanteurs les plus talentueux la capacité d’enchanter l’auditoire avec des poèmes qui ont pour référence une piété à la limite du soufisme. On le sait, les poètes étaient l’élite de leur époque et avaient de solides connaissances religieuses, puisque c’était alors l’enseignement le plus approfondi. Cela leur donnait aussi une emprise certaine sur les subtilités de la langue, qu’ils maniaient avec brio dans la forme courante de leurs contemporains, permettant sans doute de les sensibiliser aux messages les plus divers, du sacré au profane. La codification des formes poétiques aura eu pour mérite d’uniformiser l’art (2).

Sans tabous

La poésie melhoun n’a pas pour sujet la foi et la piété, loin s’en faut, et les poètes avaient une audace inégalée, osant les thèmes et les textes les plus inattendus. Poésie érotique, chant d’amour côtoyaient dans les souks les textes décrivant les épopées ou la vie du Prophète dans un Maghreb marqué par la vie religieuse. Un des textes qui raconte une vie de plaisirs et de rencontres charnelles est certainement Youm el-djemaâ khardjou ryam (vendredi sont sorties les gazelles) ; ou Bnet Fes el-bali (les filles du vieux Fès) dans lequel le poète M’barek Essoussi raconte comment il a croisé des femmes venues en pèlerinage au mausolée d’un saint, au quartier El-Mokhfia. Il les a poursuivies dans les rues de la ville, avant qu’elles ne lui demandent de citer les prénoms de chacune et de les décrire. Pour cela, il leur demande venir le rejoindre dans son jardin et ainsi elles pourront y passer la nuit avant de le quitter au petit matin. Avant de recevoir les femmes, le poète mettra tout son art à décrire les lieux et ainsi on trouve dans le poème un étalage de la panoplie d’objets de décorations, d’ameublement et de confort qui souligne tout l’art de vivre citadin du Maghreb. Simple imagination débridée du poète ou fait réel, il n’en demeure pas moins que M’barek Essousssi aurait rendu compte de son forfait au pacha local. On ignore s’il a été chassé de Fès par les notables pour avoir chanté la beauté de leurs femmes. Peut-être que Essoussi a abusé, mais son poème a traversé le XIXe siècle quasiment intact. On a chanté le vin comme on a chanté les femmes, ou alors les deux à la fois. En y ajoutant l’équitation. Ben Omar ou Ennajjar ont écrit une ode aux trois passions que sont les femmes, le vin et l’équitation. Le texte célèbre des ferveurs qui sont loin des textes fortement empreints de religiosité, mais qui ne manquent pas de constituer un patrimoine que l’on fredonne sans honte. Dans un poème, Qoub ya saqi (sers-moi encore tavernier, traduction la plus proche de ce qui y est décrit), le poète rapporte ses souffrances amoureuses. Il se lamente et demande au tavernier de cacher la bien-aimée jusqu’au matin. Amour et vin, mais aussi vin tout seul. Dans la célèbre Saqi baqi, le poète décrit les lieux de libations et le décorum des tavernes. De toute évidence, les boissons alcoolisées et les tavernes coexistaient, sur cette terre d’islam, avec les mosquées et les mausolées sans que cela ne gêne outre mesure. Du moins nous n’avons pas entendu parler de poètes lapidés pour avoir chanté le vin et les plaisirs interdits. On continue même d’apprécier ces poèmes dans les familles les plus respectables.

L’épopée

Les poèmes témoignent de la vie de cette époque et parfois sont d’une truculente débauche de détails sur des sujets que l’on imagine difficilement. Les chroniqueurs ont été moins prolixes sur les légendes barbaresques et les corsaires que ne l’ont été les poètes.
Dans un poème de Ben Ali, au XVIIIe siècle, on raconte comme une flotte de corsaire est allée à la conquête de Malte. Dans Qorsan Ighennem (corsaires en quête de butin), un texte poétique, on retrouve une bonne part du vocabulaire marin. Le nom des voiles, des instruments de navigation, des quarts… même la manière dont le capitaine dirige sa flotte est décrite et comment les marins vont à l’abordage de Malte. Tout ce que les historiens ont révélé de l’histoire des corsaires parait finalement bien mince au regard de la puissance du verbe dans un poème. Dans un autre texte, le poète Benslimane, disciple de Benali, raconte la recherche de sa bien-aimée et représente cette quête par la traversée difficile d’un corsaire sur les flots. Là aussi, le vocabulaire marin prend une force extraordinaire par le sens du détail, soulignant que les termes de marine étaient courants dans les villes côtières du Maghreb.

L’imaginaire
Les textes poétiques sont aussi de sacrées formes d’expression imaginaire totalement débridée. Le célèbre poème Qahwa ou lattey (café et thé) est un texte dont on ne sait à qui attribuer la paternité (3). Ce qui est certain c’est que c’est El-Hadj M’rizek qui l’a magistralement interprété au début du XXe siècle a immortalisé cette controverse entre le café et le thé devant un juge, chacun vantant ses mérites et ses qualités et réduisant de la valeur de son adversaire. Dans un texte d’une beauté certaine et d’un humour riche en subtilités, on suit les arguments de chacune des boissons avant que le juge ne donne finalement raison au thé même si le café (qui s’exprime au féminin en arabe) garde ses qualités. Ils quitteront le tribunal enlacés et cessant leur dispute. Un autre poète, El-Hadj Fadhel El-Mernissi, raconte que devant le juge se sont présentés un homme et une femme. L’homme, le poète, se plaignant d’être dédaigné par la femme et la femme se plaignant d’être sollicitée un peu trop hardiment par le poète. Mais en voulant expliquer au juge les raisons de ses tourments, le poète expose devant le magistrat la beauté de celle dont il attend les faveurs. Le juge, troublé, quitte la salle avant de revenir en adversaire séduit par la beauté de la femme et sermonne le plaignant. Ce même imaginaire sans limite a donné naissance aux séries de Harraz que le dramaturge marocain Abdesselam Chraïbi a mis sur les planches sous le titre El-harraz, une pièce célèbre dans tout le Maghreb au début des années 1970. Les harraz sont nombreux dans la poésie populaire, le plus célèbre est celui chanté par El-Mekki El-Azemmouri qui, en fait, raconte une histoire où se combinent comédie, intrigue et déguisement. Un harraz, un magicien, un artiste épris de vin et de femmes, maîtrisant la sorcellerie, arrive à Azemmour et vole sa bien-aimée au poète. Ce dernier n’aura de cesse de récupérer celle qu’il aime durant vingt jours en usant d’un tas de ruses dans lesquelles l’imagination ne chôme pas. Finalement, le harraz sera pris au piège de ses propres pouvoirs et transformé en singe pour amuser les deux amoureux qui se sont retrouvés. Le florilège des formes et des thèmes est probablement le témoignage le plus vivant d’un Maghreb uniforme, dont les références culturelles et sociales sont semblables.
Amine Esseghir

1- On s’accorde à dire que le terme chaâbi est celui attribué par Boudali Safir, directeur des programmes autochtones à Radio Alger, après la Seconde Guerre mondiale, à un genre musical dit populaire, exécuté par un orchestre de la Radio algérienne à l’époque coloniale, qu’on ne pouvait classer ni dans le moderne ou la variété ni dans le classique (andalou).
On préfèrera, pour plus de précision, le terme melhoun, un mot arabe non inscrit dans sa transcription dans les dictionnaires de langue française, qui rassemble sous ce vocable toute la poésie en arabe maghrébin, qu’elle soit bédouine ou citadine.
2- La typologie des formes poétiques est assez complexe et ne peut être résumé en quelques phrases. Mais on peut citer le griha, le mchergui, le meksour ledjnah, le mezloug, le mbiyet, le mchetteb. Des formes clairement définies, notamment par leur métrique et le nombre d’hémistiches.

3 – Peut-être Madani Turkmani de Marrakech, ou Mustapha Bendimered de Tlemcen, ou encore Mohamed Remaoun de Nédroma.

Interviews
Sid Ali Driss «Certains poètes actuels se trompent d’époque»

Sid Ali Driss, musicien chaâbi connu – il est aussi producteur et animateur d’une émission de radio (sur la Chaîne III) célèbre – a fait du chaâbi son thème unique : Quahwa ou lattey (thé ou café), du titre d’une célèbre chanson interprétée par El-Hadj M’rizek. Une émission écoutée à travers le globe par la diaspora algérienne, qui a fait que des amateurs de chaâbi habitant en Suède ont pu assister à un concert organisé par des amateurs vivant en Scandinavie, médiatisés à travers une radio en Algérie.

Quel rôle pour le texte dans le chaâbi ?
Le texte est l’élément fondamental du chaâbi, melhoun, haouzi ou andalou, en fait toute la panoplie des genres musicaux liés. Dans les fêtes familiales et les mariages tels qu’ils étaient organisés il y a quelques années encore, la soirée était forcément animée par el-a’li, l’orchestre chaâbi. La soirée débutait par les q’cid (poèmes chantés) de mdih qui se réfèrent au Prophète, à la religion, qui évoquent le sacré, avant qu’ils ne soient mis en musique. Je n’ai pas les dates en tête, je ne suis pas Bendameche qui est certainement un «datologue» dans le domaine, mais dans l’ancien temps, ces poésies étaient objet de joutes poétiques que ce soit dans les hadra, les qaâdate, dans les souks. Les chioukh, détenteurs de l’art, s’affrontaient autant sur les thèmes que sur les formes et offraient des spectacles où était aussi importante la scène que les mots.

Comment la musique s’est-elle greffée au poème ?
Avec l’avènement des grands musiciens chaâbi, que ce soit El-Anka, Cheikh El-Ghaffour ou d’autres, on a mis en musique ces textes, mais la musique est devenue un support. Dans les fêtes de mariage traditionnelles, lorsqu’une soirée musicale est organisée, on débute avec des touchia, ansraf, des morceaux tirés du patrimoine andalou, puis suivaient les madih, les chants religieux selon les thèmes, que ce soit le nabaoui qui glorifie l’histoire et les faits et geste du Prophète ou encore le culte du lieu qui sacralise le pèlerinage ou encore les supplications. Puis, au-delà de minuit, la deuxième partie de soirée s’ouvre sur les rbi’îyate (printanières) puis suivent saqiet (les chansons du vin) et gharamiyate (poème amoureux ou parfois érotique).

Des textes qui vantent le vin et les femmes, dans une société musulmane, sans créer de crise ?
Il faut savoir que l’usage des métaphores, la magie du verbe, dans ces textes sublimes et colorés, racontent autant la vie qu’une manière de vivre, sans choquer et sans gêner. Il ne faut pas perdre de vue que ces textes sont les œuvres de poètes qui étaient de fins lettrés, des gens qui avaient un cursus scolaire impressionnant. Des gens qui excellaient dans des domaines aussi divers que le droit, l’astronomie ou les mathématiques. C’est peut-être aussi cette raison qui fait que ces textes sont toujours là, encore vivants et ne sont en aucune manière menacés.

Si le texte est si important, faut-il d’abord le lire avant d’écouter la chanson ?
Il y a lieu certainement de généraliser la lecture pour retrouver au moins le vocabulaire. On doit aussi reconnaître que depuis quelques années, il y a un renouveau de l’édition dans ce domaine, d’ailleurs il s’agit de réédition d’ouvrages publiés au début du XXe siècle, ce qui est assez étonnant. Je me souviens que dans les années 1970, même si je ne suis pas si vieux, on allait supplier les chouyoukh pour qu’ils nous donnent un texte ou deux, qu’on apprenait et qu’on réécrivait. Il y a avait aussi une revue, Promesses, qui de temps en temps publiait quelques textes ; j’y avais trouvé El-horm ya rassoul Allah ou encore Hizya. Aujourd’hui, il y aussi des thèses universitaires qui sont menées autour du melhoun et il est clair que certaines mériteraient d’être connues du grand public.

Y a-t-il des poètes contemporains qui composent dans le même style et avec la même force ?
Il y a des poètes nouveaux, notamment ceux de l’intérieur du pays. Des poètes méconnus, malheureusement. On peut citer aussi Zerrouk Doqfali chanté par des grands artistes comme Chaou ou Kobbi, des chanteurs qui connaissent la tradition poétique et qui savent apprécier un beau texte. Il y a aussi des poètes qui s’essayent dans le q’cid, mais qui ont l’air de s’être trompés d’époque puisqu’au XXIe siècle, ils continuent de chevaucher de fiers destriers, arborant l’épée et bravant l’ennemi dans des batailles imaginaires, alors qu’aujourd’hui, ils roulent en voiture et ont peut-être un téléphone portable à la main. Mais bon…

Peut-être que notre époque de crise n’inspire pas, c’est pour cela qu’ils se réfèrent aux temps anciens…
Notre époque n’inspire pas, ou alors inspire mal. Maintenant, que ce genre de poésie reflète les attentes et les envies des gens d’une certaine époque, ils sont aussi le reflet d’une identité. Il ne faut pas oublier que dans les années 1970 ou 1980 il y a eu une cassure et une perte de l’échelle de valeurs. Certes, le raï a une emprise plus importante dans le quotidien, même s’il continue de susciter le débat dans les familles.
Propos recueillis par Amine Esseghir


Abdelkader Bendamèche
«Le XVe siècle a été celui de nos lumières»

Musicien, musicologue, considéré à juste titre comme l’encyclopédie vivante des arts musicaux populaires algériens, Abdelkader Bendameche est également l’auteur du livre édité par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle, Les grandes figures de l’art musical algérien. Il est en charge, aujourd’hui, du premier festival national du chaâbi. Il veut que ce soit un événement qui puisse produire de la connaissance, du savoir, et qui permettra de publier recherches et réflexions sur les textes et sur la musique que fredonnent les Algériens et les Maghrébins depuis leur plus tendre enfance sans faire vraiment attention au sens et à sa profondeur de ce qu’ils chantent.

Quel est le rôle du texte dans la chanson chaâbie ?
Le texte a toujours été à la base, depuis au moins une dizaine de siècles. Il y a quatre ou cinq siècles, il n’y avait que le texte. Les poètes ont existé avant les musiciens et avant les chanteurs. Ils ont été une épée entre les mains des dirigeants politiques de l’époque. Au XVIe siècle, le poète fait office de journaliste ou de chroniqueur. La décadence, les guerres, le mouvement de colonisation ont créé une fracture dans ce mouvement poétique généralisé dans cette région du monde. La musique andalouse a aussi fait tache d’huile et a teinté l’histoire artistique de notre pays ; ce n’est pas profondément la musique algérienne mais elle en fait partie. Après la chute de Cordoue, les Andalous ont commencé à s’installer dans le Maghreb et ont apporté, en chansonnettes, leur patrimoine musical.

Mais quel lien existe-t-il entre tout cela ?
Tout cela a contribué à influencer le melhoun, qui en fait un genre unique avec des expressions différentes, que ce soit bédouin ou citadin. Avec une structure et des canons qui ont été tracés par un grand poète qui s’appelle Lakhdar Benkhlouf. Tous les poètes, à sa suite, ont pratiqué la même forme que lui. Il y a eu ensuite des écoles, notamment au XVIIIe siècle, qui a vu une floraison extraordinaire de poètes populaires apparus au même moment, que ce soit Bensahla père et fils, Bentriki, Ben Debbah. Mais de toute évidence, l’âge d’or de cette forme poétique est le XVIe siècle pour la création, et on peut dire que le XVIIIe siècle fut un autre âge d’or par la quantité.

Pourtant, au XIXe siècle, il y a comme un coup d’arrêt à ce mouvement…

Au XIXe siècle, la décadence a commencé avec la succession de guerres et la colonisation. Mais on voit tout de même, au XIXe et au début du XXe, apparaître certains poètes comme Kaddour Ben Achour (mort en 1938), Abdelkader Bentobdji (mort en 1948). Des artistes fortement imprégnés de la poésie ancienne.
Il y a eu aussi un trou entre le XVIIIe et le XIXe, alors que les guerres et la colonisation ont fait un travail de sape terrible. Mais toutefois le patrimoine a été préservé.

Par quel miracle ces textes ont-ils été préservés ?

En sociologie, il y a un phénomène qu’on appelle la solidarité mécanique ; c’est quelque chose qui n’est pas réfléchi. La poésie populaire est restée comme cela, d’une manière mécanique, tacite, et qui fonctionne. Effectivement, qui pouvait prévoir que Lakhdar Benkhlouf soit pratiqué plus que jamais aujourd’hui, à l’ère d’Internet, de la technologie spatiale et des télécommunications ?
Il reste que si on veut apprécier le texte, on doit posséder le savoir. En fait, la poésie populaire et le chaâbi s’adressent à des gens initiés. Et c’est probablement cette raison qui explique que certaines fois, on a traversé des périodes creuses, des «crevasses» qui ont donné naissance au raï ou à d’autres choses, différentes de la tradition poétique traditionnelle. Propos recueillis par Amine Esseghir

Bibliographie sommaire Un livre à avoir absolument : Ahmed Amine Dellai, Chansons de La Casbah (éditions Enag, Alger 2003), édité dans le cadre de l’Année de l’Algérie en France.
Un ouvrage de référence :
Ahmed Amine Dellaï, Guide bibliographique du melhoun (éditions L’Harmattan, Paris 1996).
Des livres rares en arabe :
El-Kenz el-meknoun fi Chiîr el-melhoun (le trésor enfui dans la poésie melhoun) par Kadi Mohamed de Tiaret (imprimerie Rodossi, Alger 1928).
Zahwou al-anis fi tbassi ou el-qwadiss (le livre des disques et des cylindres), Edmond Nathan Yafil (à compte d’auteur, Alger 1907)


1 commentaire:

  1. je me suis régalée à ta lecture, Amine! quelle culture, quelle écriture claire et vivante et de l'humour! je ne suis pas sûre de me souvenir de tout, mais j'aime découvrir et apprendre, donc je suis servie!!! alors, merci, je vais lire les autres articles. mais ne pense pas que ce celui-là, même si son sujet n'est pas en lien direct avec l'actualité, en perde pour autant son impact "politque". en son sens étymologique, nous sommes tout à fait en prise directe avec "la vie de la cité"! et bravo pour le prix!!!

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