samedi 21 avril 2012

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mercredi 11 avril 2012

Le printemps arabe, Internet et les réseaux sociaux

La révolution 2.0 a-t-elle existé ?

Par Amine Esseghir

La « révolution 2.0 », la révolte de la génération Internet. Que n'avons nous pas entendu au sujet de ce printemps arabe aux liens étroits avec les TIC, avec l'usage salvateur de l'Internet et avec le truchement bienfaisant des réseaux sociaux. En fait, aujourd'hui que les clameurs commencent à se taire, on se rend compte que les médias nous ont vendu tout simplement un mythe technologique comme le XXIe siècle aime bien en créer et en créera sûrement.

2.0... en un !

Il a fallu d'abord prendre le recul nécessaire et le temps de la réflexion pour voir quelle était l'implication de l'Internet dans les révoltes arabes. Réfléchir au-delà des faits, ne serait-ce que pour ne pas réduire un mouvement social et politique profond à une histoire de partages de liens sur Facebook.

Il était effectivement inquiétant de voir les révoltes dans les pays arabes, naitre uniquement que d'un effet de mèche allumée à travers la toile au lieu d’être l’expression du rejet profond des régimes contestés. D'ailleurs, dès le début, au moment où la Tunisie s'enflammait, les discours sur le complot global se sont fait jour pour répondre justement à cette thèse qui soutenait que la révolution est celle suggérée par Internet et rien d’autre.

Cette hypothèse qui évoquait l'existence d'un Internet manipulé permettait surtout de réduire de l'ampleur des révoltes arabes et de leur profondeur alors que la suite des événements a bien souligné l'apport marginal d'Internet et des réseaux sociaux quand les populations, en Tunisie et en Egypte en particulier, ont commencé à structurer des revendications et des démarches visant à donner des suites palpables et constructives à ces rébellions, notamment avec les errements, les erreurs et les excès que connaissent tous les changements politiques brutaux. Dans ce cas, Facebook ou Twitter et la toile en générale ont été de peu d'utilité pour calmer la situation ou aller vers des directions favorables à une partie ou une autre.

Cela est d'autant plus vrai qu'en dehors de la Tunisie et de l'Egypte, puis dans une moindre mesure dans le cas du Yemen et de la Syrie - pour des raisons propres à chaque pays - on a vite vu la limite des appels aux rassemblements et à la mobilisation via le net. Les cas de l'Algérie et du Maroc soulignent définitivement que la révolte se bâtit sur des raisons politiques et sociales profondes et non sur des imitations folkloriques de la dite révolution du net. La fin du mythe est venue avec l'inutilité d'un réseau qui n'existe quasiment pas dans un pays comme la Libye où l'action politique et militaire a primé quand au bout de 190 jours d'insurrection militaire et plus de 7000 raids de l'aviation de l'Otan, Tripoli est tombé aux mains des combattants du CNT Libyen.

Lorsque la politique suggère l'action, agit-on vraiment en étant vissé sur sa chaise face à un écran d'ordinateur ? Assurément non, il suffit pour s'en convaincre de relire quelques uns des millions de messages des internautes laissés sur les pages révolutionnaires pour comprendre que l'émotion est le seul véritable moteur de ces révolutionnaires cybernétiques. Si on note une désinhibition et une transgression dans le propos, on sait aussi que ces « agissements » existent grâce à une sorte de protection qu'assure l'illusion d' anonymat que suppose le net et cette passivité confortable que procure cette impression d'influer sur son entourage ou son environnement en parcourant ou en adhérant verbalement à ce qui se passe dans son pays. Car pour les actes, il y a loin de la coupe aux lèvres. Ce qui a poussé le président Tunisien ou Egyptien vers la sortie ce sont les manifestations populaires dans les rues et les places, ajoutés bien sur à des questions politiquement très pointues d'équilibres des forces politiques et militaires dont bien sur Internet ne rend en aucune manière compte.

En finir avec le mythe
Ces observations post-révolutionnaires se sont fait jour chez des politologues iconoclastes tel que Evgueny Morozov, professeur visiteur à Stanford, auteur d'un très intéressant ouvrage sous le titre « The Net delusion » (l'illusion du Net).

A ce propos, il invente un concept fort captivant : la « cyberutopie ». Une cyberutopie qu'il dénonce parce qu'elle affublerait les technologies de télécommunication de capacités libératrices intérieurs qu'elles n'ont assurément pas. Mais au-delà de cette critique qui cible les romantiques qui veulent donner à Internet un rôle qu'il ne peut pas jouer, Morozov pointe aussi du doigt ce soutien officiel suspect des Etats-Unis aux blogueurs dissidents de tous poils ou aux initiatives technologiques en direction des régimes pour lesquels les USA n'ont pas beaucoup de sympathie tel que l'Iran le Vénézuela ou la Chine.

La Tunisie est certes le premier exemple à étudier, car ce pays n'a jamais été un point focal pour les Etats Unis. La Tunisie, carte postale de Ben Ali, satisfaisait totalement les Etats Unis et l'occident en général. Déstabiliser le régime Ben Ali ne peut en aucune manière être inscrit sur les tablettes de la Maison Blanche ou du Pentagone. Favoriser une dissidence via le net dans ce pays ce serait se tirer une balle dans le pied et l'actualité de ce pays, si paisible jadis, confirme plus que jamais les craintes d'un avenir immédiat plutôt sombre.

La Tunisie n'a pas été une révolution 2.0 pour une raison très simple, la révolte a débuté dans un patelin appelé Sidi Bouzid situé à l'intérieur des terres à près de 150 km à l'ouest de la ville moderne la plus proche, Sfax et une cinquantaine à l'Est de Gafsa.

Certainement que la diffusion via Facebook de l'information a joué tant le système Ben Ali était verrouillé jusqu'à la sclérose. On se permettait de dire et de montrer tout ce que le régime de Ben Ali abhorre. Mais était-ce la première fois ? Quand en 2008, les populations de Redeyef, une ville minière beaucoup plus facile d'accès située dans la même zone que Sidi Bouzid se sont révoltées, la police de Ben Ali n'a pas hésité à utilisé tout l'arsenal de terreur qu'elle possède pour limiter les dégâts pour le régime. Les images des manifestations et de la répression existaient sur le net à cette époque. Les verrouillages et censures ont été bien entendu mis en branle, mais les Tunisiens, habitués à cet état de fait, étaient champions émérites pour l’utilisation des sites miroirs. Il ne fait aucun doute que les images ont circulé dans toute la Tunisie sans que cela provoque la chute du régime.

Faut-il comprendre que la situation n'était pas propice au changement ? Très certainement et il faudrait analyser l'évolution de la contestation en Tunisie à la lumière de son histoire sur au moins les trente dernières années avant de pouvoir dire si c'est Internet ou non qui a fait tomber Ben Ali. Mieux, on ne sait toujours pas, de manière claire, quelle part statistique réelle a eu Internet dans sa capacité à mobiliser et à permettre d'agir pour faire chuter un régime dont les tunisiens ne voulaient plus. La même question se pose en Egypte où Internet est actif.

Morozov souligne pour sa part que depuis les événements d'Iran en 2009, au moment de l'élection présidentielle que l'on a décidé de miser en occident sur Internet et les réseaux sociaux pour ébranler les régimes autoritaires ou dictatoriaux. Il reste que sa définition de « Cyberutopie » qui consiste en « la croyance naïve dans la nature émancipatrice de la communication en ligne, qui repose sur un refus obstiné de prendre en considération ses aspects négatifs » indique quelque part que Morozov fustige cette révolution 2.0 pour les dangers qu'elle constitue pour les cyber-dissidents eux mêmes. Autrement dit, un régime autoritaire devrait laisser entièrement libre Facebook et lever toute censure sur tous les réseaux d'échanges parce que tout simplement l'utilisateur du net laisse toujours derrière lui une trace qui permet de l'identifier et donc de lui mettre la main dessus.

Internet business

Dans un long texte publié sur le net, le cyber-activiste tunisien Samy Bengharbia souligne l'ambivalence des actions et des décisions américaines relatives au web 2.0, notamment l'initiative société civile 2.0 lancée officiellement par la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton. On pourrait supposer et avec raison qu'en dehors de l'initiative politique, il n'existe rien d'autre.

Mais en tout état de cause ces initiatives servent moins les sociétés civiles qu'ils ne servent les détenteurs de capitaux qui ont investi sur le net. Ici se rejoignent les intérêts politiques des uns et les intérêts économiques des autres. Bob Boorstin, Directeur de la Communication chez Google et par ailleurs ancien rédacteur de discours dans l’administration Clinton indiquait que l'objectif de cette marque était « de maximiser la liberté d’expression et l’accès à l’information [...] C’est une partie très importante du business pour nous ».

Si jamais on accordait le crédit des révolutions au web, imaginons un peu quelle opération de marketing s'offrirait alors Google, Yahoo, Twitter. N'est-il pas raisonnable de se demander depuis quand le capital a-t-il à cœur les intérêts des peuples opprimés ?

En 2010, l’initiative Aswat est pourtant lancée. Il s'agit du « Réseau des Bloggeurs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord » initié par NDI, le National Democratic Institute for Foreign Affairs, une association liée au démocrates américains le tout sous l'égide de Google. Google, NDI, la majorité aux Etats-Unis surfent, pour bien dire, sur un effet de mode. Il reste que ce n'est pas eux qui ont fait le printemps arabe et l'organisation en réseaux de bloggers dispersés ne suffit pas à se donner les moyens, du moins dans l'immédiat d'influer sur le fonctionnement des prochains gouvernements post-révolutionnaires. Car au bout du compte, ce serait cela l'objectif final. Cette option est en tous les cas écartée pour le moment.

Quelle liberté ?

Un Internet entièrement libre pour faire basculer les régimes totalitaires serait également totalement libre pour porter des coups terribles, du moins en apparence, aux régimes dits démocratiques.

Wikileaks en est l'exemple le plus évident. Le phénomène apparu à la fin de l'année 2010 avait fait le buzz comme on dit dans le langage des réseaux sociaux et du web 2.0. Les révélations des câbles diplomatiques US ont fait l'effet d'une bombe alors qu'ils ont été pris en charge par les médias traditionnels, notamment les grands quotidiens politiques européens.

Il faut croire que le vecteur média a donné le crédit nécessaire aux câbles alors que le printemps arabe avait orienté les opinions vers autre chose et que l'initiateur de Wikileaks se retrouvait en butte à un procès pour atteinte aux bonnes mœurs.

Wikileaks II, la diffusion totale des câbles sans synthèse ni analyse qui a eu lieu en été 2011 - au grand dam des médias traditionnels associés auparavant à l'opération - n'a eu quant à elle qu'un effet marginal sur les opinions.

Il y avait pourtant, pour l'opinion occidentale de quoi faire cent fois la révolution une fois qu'ils ont su comment se sont comporté et comment ont agit leurs gouvernants réputés élus démocratiquement.

Certes, il y a eu les indignés en Espagne, en Israël et même aux Etats Unis, mais cela tient plus des craintes d'un avenir économique incertain que d'une remise en question fondamentale des systèmes politiques de ces pays.

Le cas Wikileaks ne va-t-il pas influer négativement sur l'action des cyber-dissidents et des printemps via le web 2.0 ?

L'administration US ne va pas rester les bras croisés et risquer de voir d'autres fuites avoir lieu et se répandre dans le monde au point de menacer la sécurité intérieur des Etats ?

Des outils de contrôle existent et s'ils ne suffisent pas on en créera d'autres cela ne pose aucun problème. Mais que restera-t-il de ces printemps inspirés par le web ? Que restera-t-il du modèle de liberté inventé sur un Internet qui n'existera plus ?

A.E.

Mini lexique du Web 2.0

-Web 2.0 : C'est le Web tel que nous l'utilisons aujourd'hui sans nécessairement posséder de connaissances techniques sépécifiques. L'expression Web 2.0 renvoi à l'ensemble des techniques, des fonctionnalités et des usages du World Wide Web (la toile étendue sur le monde) qui ont intégré particulièrement les interfaces faciles d'utilisation permettant à l'usager d'être lui même actif et faire vivre la toile.

-Anonymous : Groupe de désobéissance civile actif sur Internet. Les actions attribuées à Anonymous sont menées par des individus non-identifiés. Dans les manifestations publiques, les membres du collectif se présentent masqués. Leur principale revendication le droit à la liberté d'expression totale sur Internet et en dehors.

-WikiLeaks : De Wiki concept du web créé en 1995 par Ward Cunningham pour réaliser la section d’un site sur la programmation informatique, appelé WikiWikiWeb sur lequel les internautes agissaient directement. Leaks, fuites en anglais. Association dont la principale activité est l'animation d'un site Internet destiné à diffuser des fuites qui pourraient être censurés dans les médias traditionnels.

-Cyber-dissidents : Dissident qui utilise le « cyber-espace », communément internet comme moyen de diffusion de ses idées contestataires.

-Aswat : Regroupement de bloggeurs dans un espace présenté comme non censuré pour les militants et les réformateurs du Moyen-Orient, de l’Afrique du nord et de l’Iran. Portail multilingue sur Internet il offre aussi un espace de dialogue et d'expression en hébergeant les blogs des membres.

-Blog : Site ou partie d'un site internet permettant à un individu ou un groupe de publier une sorte de carnet dans lequel il peut exprimer ses idées, publier ses pensées ou créations artistiques.

A.E.

In Politis (mensuel édité par le quotidien El Moudjahid) novembre 2011.

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