samedi 12 décembre 2009

Persécutions

Un vieux papier (il date de juin 2008) qui rappel que le combat contre la bêtise est universel. Au moment où on interdit les minarets en Suisse au nom de la démocratie, au risque de réveiller pas mal de vieux démons, nous avons nous aussi interdit des clochers... Enfin pas exactement, mais nos gouvernants ont bien persécuté des chrétiens au nom de la loi.

Pratiques des rites religieux

A-t-on besoin d’une telle loi ?

Par quel espèce de pirouette sommes-nous passés de l’application de la loi contre le prosélytisme à ce qui ressemble à un procès moyenâgeux pour apostasie ?

Habiba Kouider, dont le procès est en attente de compléments d’informations, serait poursuivie en vertu de la loi de mars 2006. Celle-ci comporte une série de mesures administratives et des sanctions pénales à l’encontre de qui «incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion (...), fabrique, entrepose ou distribue des documents imprimés ou métrages audiovisuels ou tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi musulmane» ou qui exerce un culte autre que musulman «en dehors des édifices prévus à cet effet et subordonne l’affectation des édifices pour l’exercice du culte à l’obtention d’une autorisation préalable». Le texte crée également une commission nationale des cultes chargée de donner "un avis préalable à l'agrément" des associations à caractère religieux et à l'affectation d'un édifice à l'exercice du culte.

Cette loi est sensée lutter contre le prosélytisme, mais elle avait suscité au moment de son adoption des craintes, notamment de l’église catholique, alors qu’un représentant de monseigneur Tessier déclarait à l’AFP, en mars 2006, que «cette loi n'est pas très rassurante. Dans la formulation nous ne sommes pas très satisfaits. Des gens mal intentionnés peuvent en faire un usage abusif». Des craintes fondées dans la mesure où le premier procès religieux qui aura défrayé la chronique aura été celui d’un prêtre catholique, condamné par le tribunal d’Oran à un an de prison avec sursis pour avoir «célébré un rite dans un lieu non reconnu par le gouvernement». Selon l’ancien archevêque d’Alger, monseigneur Henri Teissier, «ce qui surprend le plus est que la condamnation a été émise parce que le prêtre avait rendu visite à un groupe de chrétiens du Cameroun : il n’avait pas célébré de messe, il avait seulement prié avec eux, le 29 décembre 2007, juste après Noël».

Contre qui ?

Persécution, le mot est dit. Mais persécution de tous les chrétiens sans distinction, serait-on tentés de croire puisque dans un autre cadre, mais au même moment, le pasteur Hugh Johnson, qui vivait en Algérie depuis plus de 45 ans et qui a été pendant plusieurs décennies le président de l’église protestante algérienne, s’est vu refuser le renouvellement de son titre de séjour début mars et a dû quitter le pays.

Pourtant, lors de la promulgation de la loi de 2006, les doigts étaient pointés vers les actions de prosélytisme. Sans le dire, on regardait vers les églises évangéliques qui, au-delà de la religion, proposeraient visas, argent et autres cadeaux en nature pour séduire des musulmans, apparemment à la foi chancelante et aux besoins sociaux économiques impérieux, qui seraient finalement assez nombreux pour obliger les pouvoirs publics à promulguer une loi dans un souci de préservation de l’ordre public.

La bonne foi de Abderrahmane Chibane, président de l’association des ulémas, ne peut être remise en question à ce propos alors qu’il déclarait à El Watan, en mars 2007, que les investigations des membres de son association dans différentes wilayas «ont démontré que l’église évangélique applique des méthodes qui doivent susciter la réaction de services de sécurité (…). Cette église ne peut suivre une vraie voie catholique ou protestante, quoi qu’elle se déclare protestante. Les missionnaires évangéliques nord-américains qui visitent l’Algérie pour rejoindre leurs amis dans les wilayas appartiennent tous aux groupes de néo-conservateurs… L’église évangélique cible la Kabylie, supposée être le maillon faible, Aïn Sefra, Sidi Bel Abbès, Mostaganem, Oran pour leur prétendue mentalité espagnole et française, puis le Sahara en se basant sur Timimoun et Tamanrasset… Nous avons des exemples répétés dans toutes les régions du pays visées par l’église évangélique».

Péril en la demeure ?

Déclaration assez péremptoire alors que l’on sait que le monde évangélique, aujourd'hui, est une véritable mosaïque. La diversité qui y règne est à l’image des firaq en islam et entre autres reproches que l’on doit faire à la loi, c’est qu’elle manque de préciser les détails. Effectivement, au-delà des églises évangéliques qui peuvent faire usage de moyens pas très «catholiques» pour convaincre des brebis musulmanes égarées, il y a aussi un tas de sectes ou de mouvements spirituels qui peuvent agir dans le cadre de l’application de la clause sur la liberté de conscience inscrite dans la Constitution. Dès lors, on voit bien que la loi veut agir sur les aspects matériels de ce qui pourrait constituer une manipulation des esprits et cela devient insuffisant et même provoque des errements préjudiciables à l’image du pays. Effectivement, comble du paradoxe, il aura fallu qu’au nom d’une loi républicaine, on aille intenter des procès en apostasie alors que rien dans les lois algériennes n’interdit en principe le choix libre de sa foi.

Amine Esseghir

Les églises évangéliques et le monde arabe

Selon le politologue français Charles Saint-Prot, grand connaisseur du monde arabe et musulman - il fut ami de Michel Aflaq – l’action des églises évangéliques dans les pays arabes se présente sous un triple aspect. D’abord une propagande anti-musulmane qui dispose de moyens considérables et qui vise à accuser les musulmans de tous les maux de la terre. Pour lui, les évangéliques sont les premiers à organiser, en liaison avec les néoconservateurs américains, connus pour leur engagement pro-israélien, des campagnes visant à assimiler l’islam au terrorisme, donc à «l’axe du mal». Le premier terrain de cette propagande serait, selon Saint-Prot, l’Arabie saoudite contre laquelle ils poursuivent une propagande inlassable tout en encourageant certaines confréries, des sortes de sectes d’obédience musulmane donc, à semer la division religieuse au sein du royaume.

Ensuite, l’instrumentalisation des communautés chrétiennes arabes est en action au Liban, en Palestine, en Syrie, en Irak.

Enfin, pour lui, la conversion des musulmans est l’aspect le plus spectaculaire de l’activité des évangéliques. Pour lui, il ne fait aucun doute que l’évangélisation de communautés musulmanes dont les origines ethniques peuvent suscité des projets sécessionnistes et anti-arabes chez les Kurdes d’Irak et de Syrie, en Kabylie ou dans les régions berbérophones au Maroc, tiennent de cette dimension.

Il faut savoir que depuis 1947, de nombreux dirigeants militaires et politiques américains, dont les Bush, appartiennent à un groupe évangélique, secret apparemment, dit «la famille». Cette organisation s’était alliée au Vatican, en Amérique latine, contre les théologiens de la libération, elle conduirait aujourd’hui, selon Saint-Prot, une double offensive contre les catholiques et contre les musulmans. Selon de nombreuses analyses jugées certes exagérées, «la famille» fournit désormais le principal encadrement politique aux États-Unis, et étendrait son influence dans le monde via ses missionnaires.


Les Débats du 4 au 10 juin 2008

vendredi 13 novembre 2009

Le jour où la France a envahi Alger


L'attaque de l'amiral Duperré lors de la prise d'Alger en 1830

A l’origine du 1er novembre 1954
L’invasion d’Alger en juin 1830

L'histoire officielle veut que ce soit le coup d'éventail – un chasse-mouches en fait – asséné par le Dey Husseïn au consul de France Deval qui fut à l'origine de la prise d'Alger.

Deval venait présenter ses hommages à l’occasion de l’aïd Esseghir au dey alors que le roi d’Alger s’impatientait de voir la France honorer une vieille dette liée à des livraisons de blé trente ans auparavant*. En fait, si l’histoire se résumait aussi simplement, on se demanderait comment d’aussi honorables militaires et politiques ont pu commettre ce qu’ils ont commis en Algérie dès qu’ils ont pu envahir Alger. C’est consternant. Tous les témoins crédibles de l’époque et les historiens sérieux d’aujourd’hui indiquent que les prétextes trouvés pour envahir Alger se multipliaient au gré des discours. Tantôt c’était pour laver l’honneur bafoué d’un diplomate, tantôt c’était pour redonner du prestige au trône brinqueballant de Charles X. On expliquait même parfois que la conquête de l’Algérie, Etat lointainement vassal de la sublime porte, affaiblirait la Turquie ottomane et permettrait même de créer un grand Etat arabe sous la domination d’un roi d’Egypte totalement soumis à la France. Il reste que les visées coloniales sont bien réelles et, plus grave que cela, seule la rapine motivait les soldats et leurs sponsors de l’époque. La prise d’Alger ne fut pas une promenade de santé. Loin d’être une mince affaire, elle avait été menée seize fois auparavant, dont six menées par la marine française et qui se sont soldées par de cuisantes défaites. Celle de 1830 n’en était pas moins dépourvue de risques, d’où le choix compliqué de Sidi Fredj (prononcé alors par les français Sidi Ferruch). On décida de mettre les moyens cette fois-ci. Ce n’était pas moins de 37 600 hommes qui avaient été réunis dans leurs cantonnements aux environs de Toulon et de Marseille. Pour donner toute la dimension historique à l’événement, on compta au nombre des conquérants des poètes, des écrivains, des comédiens de théâtre. On embarqua même une imprimerie qui publia dès que l’armée débarqua sur la plage de Sidi Fredj le premier numéro du journal «l’estafette d’Alger». On rassembla également 4500 chevaux, 91 pièces d’artillerie. L’armée était dirigée directement par le général de Bourmont, ministre de la guerre et la flotte était commandée par l’amiral Duperré. Et quelle flotte ! C’était plus de 600 bâtiments, dont 103 navires de guerre divisés en trois escadres et on comptait sept bâtiments à vapeur, avisos et remorqueurs de faible tonnage. Pour les historiens de la marine, l’expédition d’Alger fut certainement le dernier exploit de la marine à voile. Un tel déploiement de forces allait prendre aussi du temps. L’embarquement des troupes commença le 11 mai 1830 et elles prirent le départ le 25 du même mois. Au bout de cinq jours de mer, les navires arrivèrent en vue de la côte d’Afrique, mais faute de vent favorable, la flotte dut se replier sur les Baléares jusqu’au 9 juin, et ce n’est que le 12 qu’Alger apparut à la vigie.
Pourquoi Sidi Fredj ?
Attaquer Alger par la mer ne rimait à rien. C’est à peine si on maintenait un blocus, plus contraignant pour les marchands que véritablement utile sur le plan politique ou militaire.
Dans sa «Relation de l’expédition d’Afrique en 1830 et de la conquête d’Alger» un certain Edouard Ault-Dumesnil raconte : «L’histoire avait été interrogée, et ses réponses, que les adversaires du projet alléguaient sans cesse pour prophétiser l’anéantissement inévitable de la flotte et de l’armée expéditionnaire, offraient, à qui savait les y voir, les plus précieuses instructions et toutes les garanties de succès moralement désirables (…)
Dès 1829, le ministre de la guerre fit rechercher tous les documents historiques et statistiques qu’on put trouver dans nos dépôts d’archives et dans nos bibliothèques. Celui qui rapporte ici ce fait a été employé à ce travail. L’ouvrage de l’Anglais Shaw et celui du consul américain Shaler fournirent des notions qui méritaient d’être recueillies. Mais la stratégie n’avait de guide que la reconnaissance générale de la ville, des forts et batteries d’Alger, présentée au ministre de la Marine Decrès, en 1808, par le chef de bataillon du génie Boutin. L’exactitude qui distingue le travail de cet officier intelligent et la sagacité de ses explorations, faites en 1806 et 1807, ont été utiles. Il indiquait la presqu’île de Sidi-Ferruch comme le point où devait être opéré le débarquement. On suivrait de là, disait-il, un chemin d’une pente presque imperceptible, tout à la fois éloigné de la vue des forts et de la plaine, où la cavalerie est à craindre, et qui conduit droit à l’emplacement du camp et du point qu’il faut attaquer le premier. La raison de la nouveauté est encore à mettre en ligne de compte. Plusieurs tentatives ont été faites et ont échoué dans la rade ; il faut donc s’adresser ailleurs. Les Turcs sont routiniers et superstitieux; ils ne manqueraient pas de dire : on voit bien que ce sont des Français, ils ne s’y prennent pas comme les autres. II ajoutait : «Le château de l’Empereur est le point dominant de toutes les fortifications. C’est donc le château de l’Empereur qu’il faut attaquer le premier ; on pourra de là battre la ville.»
Et les Turcs dans tout cela ?
Les chroniqueurs de l’armée française rendaient compte de l’étonnement des militaires devant la faiblesse de la résistance des forces armées locales, notamment turques.
Dans «Histoire des colonies françaises», un livre rare édité en 1930, on peut lire que l’ennemi n’opposa qu’une très faible résistance ; au consul des États-Unis qui s’étonnait qu’il laissât ainsi débarquer tranquillement l’armée ennemie, Hussein répondit que c’était afin de la détruire plus facilement. Une vue de l’esprit, car si tant est que le Dey ait dit cela, il n’ignorait pas que les Turcs, lui en tête, étaient plutôt occupés par les intrigues de palais.
Finalement, ceux qui pouvaient défendre la ville, le dey Husseïn notamment, étaient impuissants à le faire et les autres voyaient d’un œil intéressé cette occupation française si elle favorisait leurs ambitions. C’est Hamdan Khodja, témoin inespéré de cette période, qui laissa un livre fort intéressant, «le miroir», publié trois ans à peine après l’invasion française, qui a donné le seul point de vue algérien valable historiquement de ladite conquête.
De Bourmont avait bénéficié des machinations du Khaznadji Brahem, sorte de ministre des finances du dey qui espérait tout simplement devenir dey à la place du dey.
Le chef militaire à même d’organiser une résistance effective, Yahia Agha, avait été destitué des suites d’un complot mené par le Khaznadji qui put faire nommer Ibrahim Agha, son gendre, à ce poste.
Yahia agha, agha des arabes, chef militaire en butte jusqu’en 1828 aux révoltes de Kabylie, avait été destitué puis exécuté sur la base de soupçon de trahison. Yahia Agha était chargé entre autres d’approvisionner les garnisons côtières en nourriture. Les comploteurs à la solde du Khaznadji introduisirent au moment de la livraison des produits avariés. Les protestations arrivèrent très vite aux oreilles du Dey. Yahia Agha était accusé de faussaire et Brahem Khaznadji expliqua que Yahia Agha voulait pousser les janissaires à la révolte. Il est vrai que le contexte de l’époque rendait le dey soupçonneux. Husseïn trop de fois averti des risques de complots que pouvait fomenter Yahia Agha décida que cette fois fut la bonne et le condamna à mort. Celui-ci fut étranglé avec un cordon de soie savonné comme le voulait la coutume turque.
Un blocus maritime français avait réduit à néant la course, source de beaucoup de profits. L’interdiction du commerce des esclaves chrétiens avait aussi réduit considérablement les capacités d’enrichissement de la régence. Le paiement des soldes ne se faisait que sur le trésor de la régence, une fortune considérable mais qui n’était pas inépuisable. Il semble aussi que ce soit cette fortune qui fut la cause et la raison de l’invasion française et non un quelconque sursaut d’honneur après la dignité bafoué d’un consul que tous exécraient.
Le dey qui ne croyait pas non plus au succès d’une invasion terrestre se sentait confiant grâce à ses quelques batteries de canon situées à l’ouest d’Alger. La prise de Staoueli ouvrit la porte de la route d’Alger alors qu’elle avait été abandonnée lâchement par Ibrahim Agha qui laissa au soldat français tapis, pièces d’ors, armes. Un butin qui avait aussi ouvert l’appétit au petits soldats venus en pillards autant qu’à leurs chefs qui lorgnaient sur le mythique trésor d’Alger.
Les turcs abandonnant Alger laisseront quand même un poème devenu une célèbre chanson dans les environs d’Ankara sur les airs d’une musique très dansante de cette région de Turquie et qu’un certain Hasan Yelmaz ou Adem Aydach continuent de chanter de nos jours.** Une chanson en guise de souvenir d’une défaite et d’une inconséquence dont la musique n’a pas fini de nous chauffer les oreilles.
Par Amine Esseghir
In Les Débats du 28 octobre au 3 novembre 2009

* C’était le 30 avril 1827 à la veille de l’aïd de la fin du ramadhan que Deval se présenta à la Casbah pour saluer Hussein Pacha. A cette cérémonie très officielle où notables, militaires et consuls sont présents, Deval faisant montre d’une arrogance inhabituelle – c’était un homme connu surtout pour être un affairiste véreux et un diplomate trouble – demande au dey de prendre sous sa protection un navire du Saint-Siège arrivé qui mouillait au port d’Alger. Le dey avait indiqué que le consul demandait des choses sur des questions qui ne concernent pas la France et refuse dans le même temps de répondre aux lettres qu’il lui adresse. Hussein dey avait apostrophé Deval à propos d’une lettre écrite le 29 octobre 1826 au ministre des Affaires étrangères, le baron de Damas, et restée sans réponse. Deval qui ne parlait pas très bien le turc répondit à Husseïn dans la langue des ottomans que son maitre, le roi de France, n’avait pas de réponse à faire «à un homme comme toi».
Le ton monte, le dey, considérant les propos insultants, soufflette avec son chasse-mouches Deval et ordonne au consul de France de quitter la Casbah sur-le-champ. Dans les jours qui ont suivi, le gouvernement français demande à Deval de quitter Alger s’il n’obtient pas des excuses du dey Hussein, qui refuse de les lui présenter.
La France déclare la guerre à la Régence le 15 juin 1827. Des navires bloquent l’accès du port d’Alger. Le dit coup d’éventail avait permis au consul de se sortir d’un guêpier dans lequel il s’était mis lui-même en promettant au dey d’Alger que la France honorerait des dettes contractées trente ans plus tôt auprès de la Régence.

**Voici un extrait du poème :

Cezayir’in harmanları savrulur
Savrulurda dört bir yana devrilir
Cezayir anam canım Cezayir
Sokokları mermer taşlı
Güzelleride hilal kaşlı
Cezayir Vay

Les tarares (sorte de jatte en palme tressée) d’Alger sont jetées en l’air
Elles sont jetées et dispersées partout
Alger ma mère, ma chérie Alger
Tes rues de marbre
Ont la beauté des sourcils en forme de croissant
Ou la la Alger !

Pour écouter la chanson


dimanche 13 septembre 2009

Aïd et nouvelle lune... c'est le moment d'en parler

Un article qui date de l'année dernière... mais en fait je récidive sur le sujet chaque année... la famille qui avance doit posséder un sacré sens de la persévérance.

Astronomie et calendrier hégirien
Musulmans au clair de lune





Cette année encore, on a scruté le ciel et, mauvaise nouvelle, on le scrutera encore à la fin du mois. Pourtant, on pourrait se passer d’autant de peines, des calendriers précis existent.
On a observé le ciel pour savoir quand débute le ramadhan, on le fera pour savoir quand il s’achèvera.


Al Battani, Al Birouni et Ibn Al Haytem doivent se retourner dans leurs tombes. Leurs coreligionnaires actuels ont cédé au diktat des ignorants. Ils ont réduit les musulmans à un amas de contemplatifs scrutant le ciel au crépuscule pour déterminer le début de leurs mois de jeûne. Ils se sont condamnés dès lors à l’incapacité de fournir au monde un calendrier précis et unifié. Aux Etats-Unis et en Europe, les musulmans ont décidé de passer outre l’observation physique. Ils ont établi un calendrier anticipatoire dont il est difficile de discuter la précision et la conformité avec les principes religieux qui fondent l’observation même du croissant lunaire. Sont-ils moins musulmans que les musulmans scrutateurs ? Certainement pas, ils sont même d’une rigueur exemplaire. Quiconque possède un minimum de culture religieuse sait ce que pèse la prise de décision du début de la pratique d’un des cinq piliers de l’islam.
Il faut dire que cette problématique du calendrier qui anticipe les dates et qui les unifie pour les principaux rites musulmans a donné lieu à pas mal de débats, malheureusement restés sans suite. La question a été débattue lors de plusieurs sommets de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Les recommandations tendent certes à unifier les dates des rites musulmans. Mais on a préconisé à l’OCI justement de faire prévaloir l’observation physique du croissant pour décider du jour du début de Ramadhan, des mois de Choual et de Dhou el-hidja, hypothéquant pour un long moment la capacité des musulmans à unifier leur calendrier.
Pourtant à l’image des musulmans en Occident, un ingénieur en télécommunications marocain, amateur d’astronomie, a écrit en 2005 un ouvrage particulièrement intéressant et novateur sur le Calendrier lunaire islamique unifié (CLIU).

Nuits blanches
Djamel Eddine Abderrazik a démarré sa réflexion du fait qu’un calendrier lunaire dont les débuts de mois sont tributaires d’une observation effective et physique du croissant ne peut être considéré comme un véritable calendrier. Et à Abderrazik d’asséner une évidence : un calendrier a une dimension prévisionnelle fondamentale. Concernant l’observation. Celle-ci n’est valable et légale qu’en fonction de méthodes de légalisation qui diffèrent d’un pays à un autre. Cette situation fait qu’aujourd’hui, les musulmans ne jeûnent pas tous le même jour. Tous, à la veille de Ramadhan ou de l’Aïd, ne savent pas s’ils vont jeûner ou pas le lendemain. Quant aux différences, elles peuvent atteindre jusqu’à deux jours d’un pays à un autre. Abderrazik a ainsi revu tous les projets de calendriers unifiés et même certaines démarches particulièrement audacieuses – on prévoyait de lancer un satellite d’observation du croissant de lune qui unifierait ainsi les dates des musulmans hors du territoire d’un Etat ou d’un pays. Il reste que le livre de Abderrazik conclut que sans recours au calcul, et au calcul seul, et sans volonté de consacrer le principe de «transfert de la visibilité» dans les conditions énoncées et sans l’adoption du système international du temps, les musulmans risquent d’attendre longtemps un calendrier lunaire islamique unifié.
Cette même approche emplie de bon sens, on la retrouve dans un article paru dans le quotidien saoudien Al Watan le lendemain du début du ramadhan de cette année. L’article mettait en évidence la déclaration du mufti d’Arabie saoudite qui autorisait l’utilisation des observatoires astronomiques dans l’observation du croissant de lune. L’auteur souligne que cette propension à faire admettre une manière de faire contre une autre (l’observation physique contre le calcul astronomique) n’est qu’une affirmation de positions. Dans le même temps, il souligne que le refus de se référer au calcul astronomique dans la mise en place du calendrier lunaire revient à ce que les musulmans se passent des calculatrices ou des ordinateurs dans leur vie quotidienne pour se conformer à la lettre du Coran. Al Watan saoudien soulignait aussi que la question de l’observation du croissant lunaire ne pouvait être traité du point de vue religieux. Les outils permettant d’observer le croissant de lune et le mouvement des planètes sont d’ordre purement scientifique et dès lors le religieux doit se faire aider par le scientifique tout comme le juge se fait aider par le médecin légiste pour prendre une décision de justice.
L’observation de la naissance du croissant de lune, même si elle se déroule au coucher du soleil a procuré pas mal de nuits blanches à des scientifiques musulmans qui tentent de convaincre avec talent ceux qui résistent encore à l’implacable force des vérités scientifiques.
Mohamed Al Awsat Al Iyari est tunisien et consultant à la Nasa, aux USA. Il vient de passer trois ans à mettre au point un système d’observation de la naissance du croissant lunaire. Ce système compliqué et qui fait appel aux nouvelles technologies de l’image et aux réseaux de transferts de données sera opérationnel dans deux ans. Il devrait, selon son inventeur, mettre un terme aux polémiques qui minent toutes les initiatives qui tendent à unifier le calendrier musulman. Le projet de Al Iyari a coûté 67 millions de dollars et a nécessité la validation du système par de nombreux spécialistes de renom à travers le monde.
Il demeure que la question est de savoir si le système n’est bon qu’à observer la naissance le croissant de lune. Car si tel est le cas, ce sera beaucoup d’efforts pour pas grand-chose car parfois, le simple bon sens suffit à dépasser des difficultés aussi délicates que l’unification des débuts des rites musulmans. Al Battani n’avait pas hésité autant que cela pour proposer un calendrier arithmétique au début du Xe siècle.

Le simple bon sens
Depuis deux ans l’Islamic Society of North America (ISNA), se fondant sur les recommandations du Fiqh Council of North America, une des plus importantes – mais néanmoins indépendante –concentrations dans cette partie du monde d’érudits musulmans et de spécialistes de l’exégèse et des études islamiques, avait décidé de suivre les calculs astronomiques dans la détermination des mois lunaires en Amérique du Nord.
Cette année, l’ISNA récidive et il est heureux de voir que le European Council for Fatwa and Research établi à Dublin a publié le 28 août dernier un communiqué dans lequel il préconise de se référer aux calculs astronomiques dans l’anticipation des dates des mois de l’hégire notamment le début du mois de Ramadhan de Choual et de Dou el-hidja. Le communiqué souligne entre autres que «le calcul astronomique est une des science contemporaine qui a atteint un très haut degré de précision concernant le mouvement des planètes». Et tout en se reportant aux principes religieux, le communiqué indique que les calculs précisent justement quand débute le mois de ramadhan et dès lors le European Council for Fatwa and Research a décidé que le premier jour du mois de jeûne correspondait au 1er septembre 2008. ISNA a indiqué pour sa part que le 1er choual, jour de l’Aïd el fitr, conformément aux calculs, correspond effectivement au 1er octobre 2008.
En Algérie, la seule certitude est qu’on observera le ciel au couchant le 29 septembre pour savoir quand débutera choual. Pourtant, c’est bien en Algérie que des astrophysiciens de renom, Nidhal Guessoum et Karim Meziane, ont établi un calendrier quadri-zonal au début des années 1990, assez précis pour proposer une unification des dates. Aujourd’hui des chercheurs musulmans, notamment Guessoum, proposent un calendrier bi-zonal tout à fait clair et simple à appliquer, qui se passe totalement du rite de la nuit du doute et permet de prévoir les dates des débuts des mois importants avec la précision nécessaire et la conformité indispensable à la règle religieuse.
Il ne reste en fait que la décision politique qui se passera de cette observation aujourd’hui désuète d’un point de vue scientifique et religieux mais n’est utile finalement que d’un point de vue politique, mais cela est une autre histoire.
Amine Esseghir

In Les Débats du 10 au 16 septembre 2008



Bis repetita... en fait depuis 1991 je ne rate aucun ramadhan...


Observation du croissant de lune

Les Musulmans ont-ils la tête dans les étoiles ?

Le rite de la nuit du doute ne renseigne en aucune manière sur l'ampleur du débat qui secoue le monde musulman quant à la mise en place de calendriers prévisionnels. Reste à savoir si les musulmans souhaitent réellement trouver d'autres méthodes pour prévoir les dates de leurs rites. Le sondage susceptible de nous renseigner sur ce que veulent réellement les musulmans n'a pas encore été organisé.

Samedi 19 septembre, les Algériens sont scotchés devant leur petit écran. En prime time à la télévision algérienne, toutes chaines confondues, c’est la retransmission en direct de la réunion de la commission d’observation du croissant lunaire. La simplicité du décor comme l’humilité des présents sur le plateau ne renseigne en aucune manière sur l’importance phénoménale de l’événement qui se déroule sous les yeux de millions d’Algériens. Effectivement, on espère l’annonce de la date de l’aïd el fitr.
En attendant, on meuble. On parle du ramadhan, de l’école qu’il représente. C’est Bouzidi qui s’y colle devant des membres d’une commission, trop âgés pour se maintenir en alerte. Certain ont du mal à réprimer un bâillement. Enfin, l’annonce tant attendue arrive. Au bout d’un long communiqué qui maintient le suspens jusqu’à la dernière ligne, on apprend que suite à l’observation du croissant de lune à El Oued (comme d’habitude) l’aïd sera célébrée le lendemain, le dimanche premier jour du mois chawwal de l’an 1430 de l’hégire correspondant au 20 septembre 2009. On aurait presque entendu le « hourra » magnifique qui avait raisonné dans toutes les villes algériennes lors du match Algérie Zambie à la fin du laïus. Il n’en sera rien, mais il est certain que jamais dans l’histoire de la téléréalité on n’aura réussi un tel taux d’audience à si peu de frais.
Mais est-ce que on attendait réellement ce communiqué pour savoir ? En fait, la déclaration officielle du jour de l’aïd venait confirmer les prévisions astronomiques qui depuis des semaines, voire des années avaient prédéterminées le jour de la naissance de la nouvelle lune. Le communiqué lui-même rappelle ces données scientifiques fondamentales. Pourtant, depuis des jours la presse ne cesse de souffler le chaud et le froid. Interrogeant scientifiques et devins, elle annonçât tantôt un aïd dimanche et tantôt un aïd lundi. Le pays entier est saisi par le « qalou » (ils ont dit) ce verbe dont le pronom renvoi à une entité non identifiée qui décide dans l’opacité la plus totale du destin de toute une nation. Qalou c’est dimanche, qalou c’est lundi. Néanmoins, si l’incertitude, totalement inexacte, est effectivement maintenue comme la caractéristique de toute la démarche dans la prévision du jour de l’aïd, on ne pourra jamais reprocher autant à la commission de l’observation du croissant qu’au ministère des affaires religieuses et même à aucune institutions de l’Etat - ceux qui disent, ceux qui ont « qalou » - le manque de transparence. La commission d’observation du croissant de lune palie finalement à un paradoxe structurel chez les musulmans modernes. Alors que nous nous en remettons à la science pour notre santé ou pour construire nos maisons, nous refusons d’admettre la prévision des dates des rites importants. Mais est-ce que tous les musulmans en sont à cette situation complexe et schizoïde ? Ce n’est pas si sur.

Leçon d’Amérique

En Amérique du nord, l’Islamic Society of North America (ISNA) a décidé depuis 2006 de préciser les dates du début du ramadhan et de l’Aïd à travers un communiqué publié bien avant le début du mois de ramadhan. Ce même communiqué se réfère aux mêmes préceptes musulmans auxquels se réfèrent tous les musulmans de par le monde.
Le communiqué en question est entériné par la déclaration du Fiqh Council of North America (FCNA) qui reconnaît que les calculs astronomiques sont valables du point de vue de la shari’ah pour déterminer le début des mois lunaires. C’est d’ailleurs grâce à cette prévision que les musulmans des Etats Unis du Canada et du Mexique peuvent prétendre à des congés au moment des fêtes importantes (l’aïd el fitr et l’aïd el adha) dans ces pays. Il faut dire que les musulmans d’Amérique sont d’une audace sans pareille. Zulfiqar Ali Saleh le président du Fiqh Conuncil of America a publié un livre fort intéressant à ce sujet. Sous le titre « the astronomical calculation and ramadan », ce docteur en théologie explique que la vision à l’œil nu du nouveau croissant pour décider du premier et du dernier jour de ramadhan s’éloigne du principe même édicté par la shari’ah islamique et que le Coran n’a pas limité à cette seule méthode la prévision du premier jour du mois sacré.
Concernant l’aïd de cette année, le problème de la conjonction et de l’observation s’est accru alors que la visibilité du croissant devenait hypothétique le 29eme jour de ramadhan à cause de l’angle dans lequel se trouvait le croissant de lune et de la lumière.
D’ailleurs des communiqués comme celui du projet islamique d’observation du croisant aux Emirats et celui de l’association Sirius en Algérie ont mis en avant cette impossibilité d’observer le croissant de lune à l’œil nu à partir d’un pays arabe ou musulman. La possibilité d’observation facile à œil nu n’était possible que d’Afrique du sud ou en Amérique du sud. Est-ce que pour autant les fouqaha de l’ISNA ignoraient cette donnée ? Certes non, mais ils ont maintenu cette prévision alors que l’on comprend la complexité de ce genre de décision qui concernent l’ensemble des musulmans dans l’accomplissement d’un des cinq piliers de l’Islam. Cela serait aussi grave que si on se trompait sur l’heure de la prière, qui soit dit en passant sont prévues scientifiquement sans en référer à l’observation effective des phénomènes naturels qui les prédéterminent.
La prévision des dates n’est pas l’apanage des seuls musulmans d’occident. en Libye, on en s’en remet plus à l’observation du croissant de lune. Seule le calcul astronomique prévaut. Mais si en Libye les dates des fêtes sont connues à l’avances, dans le même temps la Libye se retrouve à fêter seule ses dates et avant tout le monde. Cette année encore, l’aïd en Libye, 1er Shawwal 1430 hégirien a été célébrée le samedi 19 septembre 2009.

Unifier les dates

On comprend donc que les dates ne sont pas unifiées même entre pays musulmans voisins. La problématique de l’unification du calendrier musulman est un autre sujet d’insomnie pour de nombreux scientifiques.
Certes on peut digresser sur la question de savoir quand s’attacher à la lettre du message prophétique et du saint Coran et quand il faut parler d’allégories, d’images ou de principes généraux, voire de spiritualité. A l’Organisation de la conférence islamique (OCI) lors de nombreux sommets ont abordé la question. Si les recommandations tendent à unifier les dates des rites musulmans, même à l’OCI on préconise toutefois l’observation physique du croissant pour décider du jour du début de ramadan, des mois de chawwal et de dhou el-hidja. Cependant, des musulmans hardis vont à l’encontre les principes établis et immuables décidés par les politiques existent.
Parmi eux Djamel Eddine Abderrazik, un ingénieur en télécommunications marocain, amateur d’astronomie, qui a écrit un ouvrage particulièrement intéressant et novateur sur le Calendrier lunaire islamique unifié (CLIU).
Pour Abderrazik, un calendrier lunaire tributaire d’une observation effective et physique du croissant ne peut être considéré comme un calendrier puisqu’il maque dans ce cas la dimension prévisionnelle propres aux calendriers. Quant à l’observation elle n’est valable et légale qu’en fonction de méthodes de légalisation qui diffèrent d’un pays à un autre. De fait les musulmans ne jeûnent pas tous le même jour une différence qui peut atteindre deux jours d’un pays à un autre. Abderrazik a conclu que sans recours au calcul, et au calcul seul, et sans volonté de consacrer le principe de «transfert de la visibilité» dans les conditions énoncées et sans l’adoption du système international du temps, les musulmans risquent d’attendre longtemps un calendrier lunaire islamique unifié, et mettre une croix (il n y’a aucune allusion religieuse dans ces propos) sur leur espoir de voir les fêtes et célébrations musulmanes unifiées.

Par Amine Esseghir


Interview

Nidhal Guessoum, astrophysicien de renom à propos d’un calendrier musulman prédéterminé

«L’ère de la civilisation musulmane n’a pas commencé»

Dans le débat qui secoue la société musulmane sur la nécessité ou non d’avoir un calendrier prédéterminé, les scientifiques musulmans sont en premières lignes. Incontestablement, au bout du compte, c’est de la pertinence de leurs approches que dépend la décision courageuse et historique que prendront un jour les Etats musulmans pour que justement le calendrier hégirien soit, même sans être unifié, un instrument de prévision au même titre que ne l’est le calendrier dit universel. Dans cet entretien, Nidhal Guessoum*, astrophysicien Algérien de renom explique les problématiques fondamentales liées à l’unification et à la prédétermination du calendrier musulman. L’élaboration d’un calendrier prévisionnel permettra selon lui d’entrer enfin dans l’ère de la civilisation musulmane. Petites réponses éclairantes…



Les Débats : Peut-on d’un point de vue scientifique et religieux nous passer de l’observation physique du croissant de lune pour déterminer les débuts des mois importants dans les rites (ramadan, choual et dou el hidja) ?

Nidhal Guessoum : Scientifiquement, on peut dire quand le croissant sera au-dessus de l’horizon et quand il ne le sera pas. Donc, dans certains cas, comme le début du Ramadan cette année, on pouvait dire avec certitude que cela ne pouvait pas être le vendredi 21 Aout, sauf si on adopte comme définition du début du mois celle de la Libye, c’est-à-dire une définition purement astronomique (conjonction), se débarrassant complètement de l’observation du croissant. Dans d’autres cas, comme celui de l’Aïd el-Fitr de cette année, nous pouvions dire quand le croissant sera dans le ciel mais sera trop fin et se couchera trop vite après le soleil pour être observable (dans un pays ou un autre). Dans ces cas, la décision concernant le début du mois dépend de si les fouqahas acceptent une observation faite « ailleurs » (en Afrique du sud, par exemple, dans le cas présent). Si maintenant on élargit la région et considère qu’un croissant vu au Sénégal est acceptable pour l’Arabie Saoudite ou même pour la Malaysie, alors nous astronomes pouvons bâtir un calendrier islamique (pour les besoins religieux) projeté des années à l’avance.



La réflexion autour d’un calendrier musulman prédéterminé est-elle réellement en train de concerner l’ensemble des musulmans et pas seulement la communauté scientifique ?

Non, pas vraiment. Malheureusement, les fouqahas et officiels (ministres des affaires religieuses, etc.) demeurent fixés sur « l’observation du croissant », c’est-à-dire quand il pourra être vu et dans quels cas on devra accepter un témoignage ou le rejeter ; ils sont loin d’être fortement intéressés par le problème plus global et plus fondamental d’établir un calendrier musulman, ce qui nous règlerait toutes ces questions d’un seul coup et nous ferait réellement entrer dans une ère de « civilisation musulmane ».



Vous parlez dans un de vos articles relatifs aux prévisions calendaires musulmanes d’une solution à la Kepler ? Comment expliqueriez-vous en quelques mots et de manière simple cette solution que vous préconisez ?

Kepler est le grand astronome qui a réalisé au début du XVIIe siècle qu’au lieu de s’obstiner à corriger les modèles planétaires (orbites des planètes), qui étaient jusque-là circulaires, avec de petits cercles rajoutés sur les grands cercles et les cercles moyens, il fallait tout simplement effacer tout cela et remplacer les orbites compliquées par des ellipses. J’appelle à ce même saut intellectuel et scientifique qui nous ferait passer des solutions du croissant (utilisation ou pas du télescope, projet de satellite, etc.) à la solution du calendrier musulman établi par les experts, déterminant ainsi les dates (religieuses et autres) des années à l’avance et rayant d’un coup toutes les polémiques et les tous les différends.

On parle aussi d’un calendrier musulman unifié quelles sont les conditions à réunir pour justement pouvoir l’établir ?

Le débat aujourd’hui parmi les experts (astronomes) musulmans sur le (futur) calendrier musulman est justement : est-ce qu’il doit être unifié pour le monde entier ou bien y a-t-il des contraintes qui font que nous seront forcés d’aller vers un calendrier bi-zonal (un pour l’Amérique, l’autre pour le reste du monde). Ce débat n’est pas encore tranché.

On voit chez les musulmans d’occident (je pense particulièrement à l’ISNA) une tendance claire à préconiser le calcul comme seul critère d’établissement du calendrier hégirien, tout en se référant aux règles jurisprudentielle du fiqh. Pourquoi ce qui est valable pour les musulmans en Amérique ne le serait pas pour ceux vivant ailleurs ?

Cela devrait certainement l’être, mais il semble que nos coreligionnaires (et fouqahas) dans le Nouveau Monde sont en avance sur les esprits qui prévalent dans le monde musulman traditionnel. Les fouqahas et autres observateurs musulmans de l’ISNA et du Conseil Européen se sont rendus compte (il y a quelques années seulement) que le problème de détermination planifié des occasions religieuses musulmanes, ce qui permettrait de régler d’un coup les deux problèmes de demandes de congé et de différends parmi les mini-communautés musulmanes d’Occident qui ont tendance à suivre les annonces de « chez elles » (là-bas), cette détermination planifiée ne pouvait se faire que par le calcul. Ils se sont aussi rendus compte qu’au lieu de se borner à une lecture littérale et simpliste des fameux hadiths, il fallait plutôt adopter une méthodologie de Maqasid al-Shari`ah (approche objectiviste du fiqh).

Est-ce que le fait de ne pas pourvoir établir un calendrier prévisible et permettant les prévisions nous oblige à recourir inévitablement au calendrier dit universel et perdre d’une certaine manière un élément structurant de l’identité des musulmans ?

Nous avons déjà dans une grande mesure adopté le calendrier dit universel dans notre vie commune, sauf dans de rares pays (comme l’Arabie Saoudite) où le calendrier civil (paiement des salaires, etc.) est hégirien. Sauf que même dans ces rares cas, le calendrier civil est régulièrement piétiné, dès qu’une occasion religieuse se présente et une « observation » inattendue est faite. Je doute que nous irons un jour vers une adoption totale du calendrier universel, car de toutes les manières les occasions religieuses islamiques sont basées sur le cycle lunaire, contrairement au calendrier universel qui est totalement solaire.

Propos recueillis par Amine Esseghir


*Nidhal Gussoum est un astrophysicien Algérien, actuellement professeur et chef de département de physique de l’Université Américaine de Sharjah (Emirats Arabes Unis). Il est titulaire d’un M.Sc. et d’un Ph.D. de « University of California at San Diego ». Précédemment il a travaillé deux ans au Goddard Space Flight Center de la Nasa.
Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages grands public dont « Histoire du Cosmos » avec Jamal Mimouni, livre édité en langue arabe et aussi le remarquable « Réconcilier l’Islam avec la science moderne, l’esprit d’Avéroes » aux Editions presse de la renaissance dans lequel il explique entre autre que non seulement la théorie de l’évolution est correcte, mais qu’en outre on peut l’accepter de manière compatible avec la foi. A propos du calendrier musulman il a publié en arabe « la détermination des mois lunaires et le calendrier musulman ».


Hebdomadaire Les Débats du 23 au 29 septembre 2009

samedi 29 août 2009

Autre quartier autre bidonville

Frais Vallon, Larbaâ et les autres

Un pays à l'abandon

Des quartiers périphériques où l’on cultive ses aigreurs, ses frustrations et un sentiment d'abandon et où le langage de l'espoir n'a pas prise. Une route qui monte, éclairée dans l'obscurité naissante par les seuls phares de la voiture. Une route complètement défoncée si bien qu'on on imagine aisément qu'elle a été bombardée récemment.

A la lumière des phares on cherche les plaques d'asphaltes pour éviter le chaos de la route. De l'eau qui coule d'une conduite cassée, depuis plusieurs jours nous dit-on, rend la chaussée glissante. La voiture dérape légèrement dans les virages en épingle à cheveux. De temps à autre, la lumière blafarde de quelques lampadaires encore fonctionnels éclaire les alentours peu accueillants et soulage un instant le regard dans une halte visuelle avant de sombrer encore dans le noir et rouler, tout phares allumés, pour éviter les nids de poules, les crevasses et même les rigoles creusées par les inondations du 11 novembre 2001 qui traversent la route de part en part. Elles ont été couvertes de grilles de protection qui soit ont disparu, soit sont aujourd'hui mal posées au risque de casser quelque chose sous le véhicule si le conducteur, dans un excès de confiance, passe un peu trop vite sur l'une d’elles qui s'est retrouvée à la verticale.
L'ambiance est morose. Quelques magasins qui ponctuent la distance donnent un tant soit peu l'image d'un quartier presque ordinaire. Mais on est étonné par la modestie des lieux. Peu d'investissement, si ce n'est que l'on a rapproché des points de ravitaillement des populations locales par la grâce de l'initiative d'individus. C'est du commerce, mais bien utile quand on habite aussi haut perché. Des magasins d'alimentation générale, des marchands de fruits et légumes faisant également dépôt de pain, sans plus.
Mais ce qui frappe, c'est bien l'absence d'urbanisation au sens classique. Peu de «cubes» avec garages au rez-de-chaussée et trois étages de logements au dessus. Pourtant, la foule des passants, les fourgons et bus qu'on croise la nuit déversent et ramassent des passagers, des gens du coin. Ils habitent les fourrés et les bois environnants, dans les bidonvilles qui s'y cachent.
Bien entendu, il n y a aucune découverte étrange dans ce périple. Nul n'ignore l'existence des baraques de Frais Vallon, de Oued Koriche sur la rue Mohamed-Chebine, mais on fait tout pour oublier leur existence.
On nous apprend que les bus ne commencent à circuler qu'à partir de 9h 00 dans le quartier et ceux qui veulent rallier la ville plus tôt doivent y aller à pied ou espérer croiser un taxi. En fait, la ville n'est située qu'à quelques mètres. La civilisation et ses grandes réalisations, une trémie toute neuve et une route goudronnée convenablement sont en contrebas du quartier, qui s'adosse à Djebel Koukou.
Ici on se souvient du terrorisme, de Flicha, des inondations ; on s’en rappelle si bien que l'on constate avec rage surtout que rien n'a changé depuis des années. Certes, de grands travaux sont menés à grands renforts de moyens pour le curage de l'oued, mais est-ce que ce seul chantier explique la désolation des lieux ? Le sentiment le mieux ressenti est la frustration et la pénible impression d'avoir été totalement oublié. Les inondations ont constitué, pour un temps, un espoir de voir les choses changer, puis on a commencé à attendre et à prendre son mal en patience.
A quelques kilomètres de là, dans la Mitidja, Larbaâ, qui souligne que la réconciliation est passée par là. On y va sans risque de se faire égorger de jour comme de nuit, mais dans tous les cas, il faut savoir être prudent. Là aussi les quartiers récents, les lotissements nouvellement délimités (en fait ils datent de plus de quinze ans), n'ont de neuf que le béton et les murs inachevés des nouvelles constructions légales ou illégales. Les routes sont un bourbier en hiver et des pistes défoncées impraticables et poussiéreuses en été. On s'affaire certes à mettre en place les trottoirs pour délimiter les îlots et urbaniser un tant soit peu des lieux. Mais les travaux sont lents à se faire et puis, il paraît que les VRD n'ont pas été encore réalisés, alors il faudra attendre que l'on creuse d'abord.
La route comme la ville auront longtemps cette image de chantier interminable. Là aussi, le sentiment d'être livré à soi-même semble prédominer chez les habitants du coin.

Les oubliés
Les exemples de ces quartiers, situés parfois à quelques centaines de mètres du centre-ville de la capitale ou constituant une banlieue involontaire d'Alger, peuvent être multipliés des dizaines de fois autour de la capitale et des grands centres urbains et chefs-lieux de wilayas.
Si effectivement, il ne s'agit pas de centres importants qui nécessitent de grandes infrastructures, on continue toutefois d'y vivre les affres de l'oubli. Les quelques habitants avec qui nous avons discuté semblent voir encore une fois un train passer à grande vitesse, eux-mêmes restants sur les bords de la voie. Ce train est celui de l'instruction ou de la santé. Les enfants des lotissements des communes de Larba ou de Meftah doivent toujours faire des kilomètres pour rejoindre l'école, passer parfois une journée sans avoir droit à un repas chaud. On peut ensuite deviser sur le phénomène de la déperdition scolaire. Un sentiment sourd de «hogra» parce que le développement, en 2006, semble tarder à venir alors que le pays compte quotidiennement ses recettes d'hydrocarbures et ses dettes remboursées par anticipation. «Nous n'avons pas vu cet argent ici», indique en souriant Mohamed, épicier à Larbaâ.
Finalement, les éléments apparents, ceux qui ont prévalu avant que la déferlante islamiste ait failli tout emporter en enrôlant des centaines de jeunes qui ne voyaient aucun espoir poindre dans une aventure sanglante et sans issue, sont toujours d'actualité. Une guerre civile (finalement il faut bien appeler les choses par leur nom) et une réconciliation nationale plus tard, les éléments constitutifs du terreau de la révolte sont omniprésents. Identiques et aussi forts qu'en 1990. Ils renvoient à des images qu'on avait cru disparues en 2006, mais ils rendent, par dessus tout, l'image d'un pays à l'abandon.
Amine Esseghir

In Les débats du 27 septembre au 3 octobre 2006

mardi 25 août 2009

Dénonçons, dénonçons il en restera surement quelque chose

Voici l'histoire d'un bidonville d'Alger dont on attendait l'éradication il y a 17 ans alors qu'il existait déjà à cette époque depuis 35 ans....
La Beaucheraye en 2009... Le bidonville a été finalement rasé en septembre 2010.
La Beaucheraye en 1992.

lundi 24 août 2009

Histoire de la prostitution en Algérie

Prostitution en Algérie
Une histoire de bureaucratie


Le terme en usage dans la presse est «prostitution clandestine». Bien entendu, il est utilisé en référence à une autre prostitution légale, autorisée. De là à dire qu’elle est acceptée et assumée, il y a encore du chemin à faire.


Elles seraient 1,2 million de femmes à pratiquer le plus vieux métier du monde de manière illégale en Algérie. Ce chiffre a été présenté dans un rapport d’enquête décrit comme confidentiel réalisé par l’institut de sondage «Abassacom» en 2008. Le document est d’autant plus intéressant qu’il nous apprend que le 1,2 million de prostituées feraient vivre 3 à 4 millions personnes.
Certes, nous pouvons digresser longtemps sur les chiffres obtenus et la méthode de «recensement» de ces femmes. Cela est d’autant plus difficile à comprendre que nous parlons d’une activité illégale, clandestine, et qui plus est dans un domaine où la discrétion est de rigueur. Dans le même temps, il est certain que le phénomène de la prostitution hors cadre légal a pris de l’ampleur* et nécessite une étude approfondie quand ce n’est pas une prise en charge. Car du point de vue réglementaire, la prostitution en Algérie tient plutôt du «reliquat» de la colonisation et de la misère sociale et morale qui l’accompagnait. Effectivement, du côté de la loi, c’est le néant absolu.
Dans un document publié en 2001 par le ministère de la Santé sur la lutte contre les IST VIH SIDA, il est noté que le seul texte réglementaire relatif à la prostitution est un arrêté du préfet d’Alger datant du 15 juin 1944, portant «règlement de la prostitution dans les villes ayant une police d’Etat», même si ledit document précise que le travail du sexe en Algérie s’exerce sous deux grandes formes : légal contrôle médical par les services de police, ou alors clandestin, sur lequel ne s’exerce que le contrôle des services de sécurité lorsqu’ils opèrent des descentes.
Il est tout de même intéressant que la réglementation pour travailler en maison légale (le document du ministère recensait 30 maisons encore ouvertes sur les 171 qui existaient en Algérie) précise même le processus d’entrée en activité. La travailleuse du sexe doit posséder une sorte d’agrément, l’arrêté d’exercice établi par la wilaya. Pour obtenir ce document, la candidate, qui doit être expressément célibataire,veuve ou divorcée, doit en faire expressément la demande à la wilaya et présenter un dossier administratif comprenant ladite demande (sic) et un certificat médical (sérologie de la syphilis, des hépatites B et C, VIH négatif et gonococcie négative). L’autorisation d’exercice obtenue, elle devra passer par le Service de Préservation Sociale pour enquête et par le Centre de Salubrité Publique pour sa sérologie.
Elle partira ensuite pour la ville où elle a choisi d’exercer. Une prostituée en activité doit passer par le CSP et le Service de Préservation Sociale où lui sera signifié son «départ», et ce, pour le moindre de ses déplacements (permission, arrêt de travail, départ). Une réglementation archaïque qui, loin de se soucier des questions sociales et morales, se soucie essentiellement des questions de salubrité, comme on s’intéresserait au ramassage des ordures ménagères.


Relique coloniale

Il reste que la réglementation française a elle-même évolué. L’existence des prostituées que les militaires français fréquentaient dès le début de la colonisation avait donné lieu à un des premiers textes réglementaires de la France en Algérie. Les noms des «filles publiques» étaient consignés dans le registre du dispendieux et celui de la police des mœurs. L’inscription était une garantie de travail pour la prostituée, mais aussi un moyen de réduire la propagation des maladies vénériennes qui réduisaient considérablement les effectifs aptes au combat. En 1837, le maire de la ville d’Alger prend officiellement en charge la surveillance des filles publiques.
En 1853, c’est le règlement français venu de métropole qui s’appliqua avec tout de même quelques nuances, puisque l’acte volontaire d’inscription n’était pas garanti en Algérie. Par ailleurs, la même réglementation donnait la possibilité aux femmes de «travailler en maison» ou librement en ramenant les clients chez elles. En 1930, la multiplication du nombre de prostituées, notamment celles qui échappaient au contrôle sanitaire, avait donné lieu à un classement des prostituées en deux catégories. Les prostituées légales, recensées dans les maisons, et les prostituées clandestines à qui était offerte la possibilité de se faire examiner par des médecins habilités ou au dispensaire. Cette manière de faire a permis surtout d’établir une statistique plus proche de la réalité. Le texte de 1944 n’est en fait que la succession logique de cette progression des textes réglementaires dont le seul souci était de préserver la santé publique plutôt que de trouver des réponses concrètes à un problème social dont on se souciait peu. Car au moment où se multipliaient les maisons closes dans les grandes villes algériennes, se publiaient en Algérie des «guides roses» donnant adresses et spécialités de ces maisons. Certaines maisons étaient devenues célèbres, comme «Le Chabanais» rue du Chêne, ou bien «Les trois étoiles» ou la maison «Chicago» rue Kataroujil qui se faisaient face à la Casbah d’Alger. La réglementation propre à gérer les questions d’hygiène avait donné naissance à une prostitution officielle folklorisée, donnant l’image de la colonie, quand elle ne fondait une part de son économie. Pour s’en convaincre, il suffit de relire «La prostitution, un sous-produit du régime colonial» publié dans La république algérienne en 1954. «Si le but du régime colonial était de porter atteinte à un honneur particulièrement chatouilleux, nous avouons que ce but est atteint car nous souffrons dans notre âme et dans notre dignité de voir nos filles livrées à la honte d’un commerce dégradant.» Le pire, c’est que cela continue.

La honte ottomane

La période ottomane ne fut pas non plus d’un grand secours aux prostituées. A Alger, c’était le mezouar, sorte d’agent de police responsable de l’ordre public, qui était en charge des filles publiques. Le mezouar recrutait les filles mais s’occupait aussi de prélever taxes et impôts pour la Régence sur la prostitution. Les filles de joie étaient souvent des prostituées clandestines qui tombaient entre ses griffes. Il y avait aussi dans le lot des femmes et des filles sur lesquelles il avait jeté son dévolu. Il suffisait d’un écart pour que les filles qui l’intéressent soient attrapées en flagrant délit d’adultère ou pour un simple flirt.
Il reste qu’au-delà d’assurer la garde des filles publiques, le mezouar assumait aussi le rôle de proxénète et de tenancier de bordel dans la mesure où c’était à lui qu’il fallait s’adresser pour avoir accès aux services des filles publiques. Le mezouar sera aussi d’un grand apport à l’administration militaire française dès le début de l’invasion, autant pour préserver le moral des troupes que pour informer et guider les nouvelles autorités dans la ville. Mal des sociétés depuis la nuit des temps, la prostitution reste tout de même l’expression d’un malaise, voire d’une violence. Impossible à éradiquer, les sociétés modernes tendent en général à en réduire les effets, notamment sur les prostituées elles-mêmes. C’est loin d’être le cas chez nous.
Amine Esseghir

* L’observation que peut faire n’importe quel individu indique bien que la prostitution se cache de moins en moins, qu’elle prend ses quartiers et a ses lieux de prédilection.
A ce sujet également, un livre à lire absolument : «De la tolérance en Algérie» de Barkahoum Ferhati (Editions Dar El Othmania - Alger, 2007)

In Les Débats du 4 au 10 mars 2009

Le rêve du Maghreb uni

Le rêve Maghrebin, est certainement l'utopie que partagent le mieux les habitants de l'Algérie, de la Tunisie, du Maroc, de la Libye et de la Mauritanie. Utopie parce que cette union régionale que tout tend à dire qu'elle est la plus facile et la plus évidente à faire tarde à devenir concrète. Bien entendu ce qui bloque l'union ce sont les différends entre les gouvernements de ces pays. Le plus complexe des ces différend celui qui oppose l'Algérie au Maroc. En attendant que l'union se fasse rêvons.

20e anniversaire de la signature du traité de l’UMA

Un rêve maghrébin

Le palais royal de Marrakech aura vécu, pour cet anniversaire de la signature du traité de l'Union du Maghreb arabe le 17 février 1989, une journée riche en émotion. Une journée que l'histoire retiendra à coup sûr comme le début d'une ère nouvelle pour les peuples de cette région.

C’est officiel, les chefs des Etats maghrébins ont décidé d’instituer à partir de maintenant l’Union maghrébine (El Ittihad al maghribi), une entité qui remplace l’UMA non seulement par sa dénomination mais aussi par ses structures. Cette nouvelle entité sera l’organisation supra nationale qui fédérera dorénavant les Etats maghrébins et qui agira en leur nom dans nombre de domaines, dont les plus remarquables sont certainement la sécurité et la diplomatie.
Devant une très importante assistance et devant les caméras qui retransmettaient les images de la cérémonie dans une centaine de pays, le discours du président algérien aura ouvert le bal. Ce choix protocolaire a été expliqué dans les couloirs du palais par un fait historique : c’est en effet en Algérie, plus exactement à Zéralda en juin 1988, qu’avait été préparée la réunion de Marrakech qui a abouti au traité fondateur de 1989.
Avec des mots particulièrement pesés qui donnaient toute la solennité à ce moment historique et entrecoupé de longues salves d’applaudissements, le discours annoncera ce que tout le monde suppose depuis des semaines, c’est-à-dire l’abolition des frontières entre les Etats du Maghreb.
«Je remercie les frères d’avoir adhéré à l’idée de refondation de notre Union et d’avoir accepté d’engager cette nouvelle œuvre d’édification de l’avenir de notre région». Le président algérien soulignera que si le reproche a été fait aux dirigeants maghrébins d’avoir pris du retard, «il ne s’agira plus cette fois de nous reprocher d’aller trop vite, l’avenir et le bonheur de notre peuple ne peuvent plus attendre». Ce peuple, c’est bien entendu les Maghrébins qui, dorénavant, circuleront librement entre les pays du Maghreb, mais qui plus est, présenteront un passeport unique dans les pays étrangers.
Le président algérien ne laissera rien en suspens : il évoquera la question du Sahara occidental sans la nommer puisqu’il indiquera aussi que si du retard a été pris, c’est parce que malheureusement la région a aussi fait face au dernier cas de décolonisation dans le monde. «Est-ce que les frères peuvent nous reprocher d’avoir été fidèles aux principes qui ont fondé non seulement l’Algérie moderne mais aussi l’ensemble du Maghreb ?» Il conclura que finalement si des retards ont été enregistrés et des occasions ratées, c’est aussi parce que l’histoire douloureuse du Maghreb est aussi une histoire d’émancipation.

Transcender le conjoncturel

Le roi du Maroc qui succèdera à la tribune abondera dans le même sens que le président algérien, non sans rappeler que l’édification maghrébine est aujourd’hui plus pressante et plus importante que des revendications de souveraineté. «Le Maroc, fier de son histoire, ne peut non plus capitaliser ses réalisations en défaisant les liens fraternels et historiques qui le lient à ses pays frères.» Le souverain chérifien soulignera que «la force de ces liens et leur profondeur historique permettent aujourd’hui de se défaire des revendications nationales pour les fondre dans une œuvre d’édification civilisationnelle qui transcende les revendications souvent conjoncturelles et toujours temporelles».
Le président tunisien remarquera que l’événement suivi dans le monde entier ce jour s’inscrit «dans la continuité de l’œuvre des pères qui s’étaient réunis au lendemain des indépendances de la Tunisie et du Maroc à Tanger en 1958, avec les militants nationalistes algériens encore en guerre contre l’occupant, pour échafauder déjà les utopies qui portaient plus loin les espoirs des peuples, avec le regard transcendant des révolutionnaires, agissant dans le cadre d’une construction historique qui s’éloigne forcément des questions de décolonisation ou d’indépendance».
Le chef de l’Etat libyen pour sa part mettra en évidence la propension des Maghrébins à sous-estimer leurs capacités quand il s’agit de prendre rendez-vous avec l’histoire. Le président mauritanien insistera quant à lui sur la nécessité d’aller de l’avant dans la construction maghrébine en laissant le soin aux historiens de rappeler les errements passés.

Rendre justice aux Sahraouis

L’invité surprise à cette importante cérémonie est sans nul doute le chef de l’Etat de la RASD. Le président de la République Arabe Sahraouie Démocratique, non reconnue jusque-là par le Maroc, indiquera dans son discours qu’il n’apporte que des bonnes nouvelles. «Dorénavant, il n y aura plus de camps de réfugiés. Les Sahraouis des camps vont rejoindre leurs proches et leurs familles dans les villes et villages du Sahara. Il n’y aura plus de revendications territoriales, plus de référendum, plus de lutte, car l’édification maghrébine est certainement la lutte suprême (…) Les années de lutte ont été justifiées par la conjoncture, mais aujourd’hui nous sommes d’accord pour ne pas demeurer en reste de nos frères» ajoutera-t-il. Une double annonce donc conclue par une chaude accolade, inattendue et tout aussi historique que la fondation de la nouvelle union maghrébine, entre le premier responsable de la RASD et le roi du Maroc qui se libère un instant du protocole qui sied à son rang.
Ainsi, les camps de réfugiés vont être fermés et un calendrier a été mis en place. La gestion des territoires sahraouis et pour ce qui est de la représentation au niveau des instances, l’union se fera par une double représentation sahraouie et marocaine.
La cérémonie a été conclue par la signature du second traité de Marrakech qui stipule en préambule qu’il est la continuité naturelle du traité de 1989. L’importance des décisions ainsi adoptées a donné lieu à des manifestations de liesse populaire dans de nombreuses villes maghrébines.

Rattraper les retards

Mais le plus audacieux dans la démarche des Etats maghrébins est certainement cette propension à ne plus perdre de temps quitte à abdiquer une grande partie de la souveraineté des Etats pour les fusionner dans le cadre de l’union.
Une instance exécutive de l’union sera mise en place alors qu’une assemblée représentative, un Parlement maghrébin sera également institué. Un madjlis echoura dont les élections se tiendront indépendamment des élections législatives nationales des pays.
Par ailleurs, nous avons appris que dans les semaines qui viennent, les commissions spécialisées mises en place vont proposer trois traités importants. Ils concernent les politiques intégrées. C’est dans le cadre d’un de ces traités que sera instituée la monnaie unique qui supplantera dans trois ans au maximum les monnaies nationales. Le dinar maghrébin, divisé en 100 dirhams, sera en usage sous forme de chèques et dans les transactions bancaires dans un premier temps. Le dinar maghrébin sera une monnaie convertible, gérée par la banque centrale maghrébine dans laquelle vont fusionner dans les années à venir les banques centrales nationales.
Il faut comprendre que cette union va permettre de créer une véritable puissance économique régionale. Avec plus de 300 milliards de dollars de PIB actuel, c’est une véritable locomotive de progrès qui est ainsi mise en branle. En termes de richesses naturelles, c’est une région où plus que le pétrole et le gaz dont foisonnent les sous-sols algérien et libyen, minerais en tous genre sont déjà en exploitation, mais cette région constitue dorénavant aussi une force en matière agricole.
Il reste que l’édification de l’avenir ne peut pas demeurer en reste avec les passifs. Une commission supra nationale extraordinaire, avec une durée limitée, a été également mise en place pour régler l’ensemble des contentieux en suspens entre les Etats maghrébins. Des questions dramatiques où sont mises en relief des affaires de spoliations de biens, d’expulsions, de déni de justice. Cette commission recevra directement les doléances des personnes concernées et agira dans le cadre d’une juridiction à mettre en place, la juridiction maghrébine sous l’égide directe des chefs d’Etat et des instances judiciaires suprêmes des Etats. Il est vrai que la jeune histoire des indépendances a donné lieu à des errements qui, s’ils ne sont pas rattrapés, empêcheront toute évolution sereine d’un avenir rempli certes d’espoir et toujours rêvé par les générations qui se succèdent.

Amine Esseghir

In Les Débats du 18 au 24 février 2009

vendredi 21 août 2009

Histoire du Sahara occidental... pour comprendre un problème qui bloque l'évolution des populations de toute une région du monde

Comprendre la problématique du Sahara occidental
Repères
historiques


Au moment où s'engagent des pourparlers apparemment décisifs pour l'avenir du Sahara occidental comme pour l'avenir du Maghreb, une vision, la plus claire possible, de cette problématique devient pressante. Celle-ci ne peut se faire en dehors d'une lecture exhaustive de l'histoire du conflit, mais aussi de l'histoire de la région. Il reste qu'en dehors de doctes ouvrages et de complexes analyses, certainement utiles quand on traite de la question sahraouie, point d'explication aussi succincte que précise pour le grand public. Il faut dire qu'en plus de la complexité de la situation actuelle, la difficulté pour appréhender la question sahraouie réside dans un fait particulier : trop peu d'historiens s'y sont intéressés.

Néanmoins, cette partie de l’Afrique du Nord n’a jamais été en marge des évolutions historiques qu’a connue la région.

D’ailleurs, comment peut-on connaître l’histoire du Sahara, séparée de son environnement politique et historique direct ? Comble des paradoxes dans une situation de flou total pour les opinions maghrébines, c’est pourtant par les seules références à l’histoire et à l’ethnographie que le pouvoir marocain tend à faire admettre que le Sahara occidental est une partie inaliénable du royaume actuel (1). Petite chronologie non exhaustive sur un territoire pauvre en faits mais riche en rebondissements.



5000 à 2500 av. J.-C. : les régions ouest du Sahara sont une savane peuplée de girafes, d’éléphants et de rhinocéros. Présence de l’homme ; découverte de dessins rupestres de l’époque néolithique.

VIIIe au IXe siècle : expansion progressive de l’islam dans le désert. Apparition d’un commerce à travers le Sahara. Des caravanes d’or africain à destination de l’Orient, de la Méditerranée occidentale et de l’Espagne traversent cette région.

745 : Abderrahamne Ibn Habib, gouverneur de l’Ifriqya sous le règne de Omeyyades, fait creuser une série de puits sur une piste reliant le sud du Maroc à la ville d’Aaoudaghst (sud de la Mauritanie actuelle).

808 : Idris Al-Asghar ou Idris II (fils de Idris, né à Walili (Volubilis) et venu de la Mecque après la révolte de Husayn, descendant de Ali et Fatima, fille du prophète Mohamed); il fait de la ville de Fez, fondée par son père, la capitale de l’empire idrisside.

XIe siècle : fondation de l’Etat almoravide par les Lemtuna (peuple du désert portant le litham). Youssef Ben Tachfin, issu des tribus nomades du Sahara, en devient le souverain ; il fonde la ville de Marrakech.

XIIe siècle : Abdelmoumen prend Fez. S’ensuit la conquête de tout le Maghreb par les Almohades.

XIIIe siècle : venue au Sahara occidental des Arabes Maaqil, dont descendraient les tribus de Ouled Delim, Ouled Tidrarin, Arousiyen et Bou Sbaa.

XVIIe siècle : avènement au pouvoir au Maroc de la dynastie alaouite, originaire du Tafilalet, au sud du Maroc (aux frontières reconnues internationalement).

1786 : traité conclu entre le Maroc et les Etats-Unis d’Amérique reconnaissant la souveraineté du royaume alaouite sur les contrées comprenant le Sahara occidental.

1821 : Alexander Scott dresse une première liste de noms des diverses tribus ou factions nomadisantes dans cette région. Il cite les Reguibat, les Toualbat, les Mejjat, les Izraguien, les Ouled Delim, les Arousiyen, les Ouled Tidrarin, les Skarna et d’autres.

1836 : nouveau traité conclu avec les Etats-Unis d’Amérique reconnaissant le territoire du royaume du Maroc avec le Sahara occidental.

1850-1853 : listes de Léopold Panet et du colonel Faidherbe citant les tribus du Sahara occidental. On y retrouve les Reguibat, les Mejjat, les Izraguien, les Ouled Delim, les Arousiyen, les Ouled Tidrarin, les Ouled Bou Sbaa.

1856 : traité avec la Grande-Bretagne sur la reconnaissance du territoire du Maroc incluant le Sahara.

1861 : traité avec l’Espagne reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental.

1882 : première expédition de Hassan 1er au Sahara occidental pour installer caïds et cadis. Le prélèvement de l’impôt au profit du roi touche aussi les populations du Sahara.

1884 : après la conférence de Berlin consacrée au «partage de l’Afrique», les Espagnols s’implantent sur ce territoire dénommé Río de Oro (la côte du Sahara occidental), en face de l’archipel des îles Canaries conquises depuis le XVe siècle. Des tribus nomades – la puissante confédération des Reguibat – se soucient peu des frontières et se déplacent sur les vastes territoires qui s’étendent depuis l’oued Draa, au sud du Maroc, jusqu’au fleuve Sénégal (3).

1885 : les premiers explorateurs espagnols fréquentent les tribus des Izarguien, les Aït Moussa Oua Ali dans la région dite de Cap Juby (aujourd’hui Tarfaya), à l’extrême sud du Maroc actuel et les Ouled Bou Sbaa et Ouled Delim dans le Rio de Oro.

1886 : premières délimitations des frontières du Sahara occidental par Paris et Madrid. Des changements successifs et des corrections seront apportés jusqu’en 1934.

1886 : seconde expédition du roi Hassan 1er au Sahara occidental

1887 : pillage du campement de Villa Cisnéros (aujourd’hui Dakhla), première «ville» d’occupation espagnole sur la côte sahraouie la plus au sud.

1892 : nouveau pillage de Villa Cisnéros.

1894 : attaque des bateaux ravitailleurs Tres de Mayo et Las Maria.

13 mars 1895 : traité anglo-marocain dont l’article 1er disposait que : «(...) Aucune puissance ne pourra émettre des prétentions sur les territoires allant de l’oued Draâ au Cap Bojador et appelés Tarfaya comme il est dit plus haut et à l’intérieur parce que ces territoires appartiennent au Maroc.»

1898 : Fondation de la ville de Smara par Cheikh Ma Al-Aïnin issu des Reguibat, figure emblématique de la résistance sahraouie à la colonisation espagnole, sur le territoire qui se nommait alors «l’Afrique occidentale espagnole».

1898 : attaque d’un bâtiment fortifié à Dakhla. Plusieurs employés de la compagnie commerciale hispano-africaine sont assassinés. Les survivants fuient par bateau aux îles Canaries.

Fin du XIXe siècle : Cheikh Ma Al-Aïnin est présenté comme représentant spécial du sultan dont il exécuterait la politique sur le plan local. Au moment où le roi signe des traités abdiquant des pans entiers de souveraineté, Ma Al-Aïnin mène des combats face aux incursions étrangères au Sahara occidental.

1903 : les nomades utilisent l’arrière-pays de la colonie espagnole comme refuge pour lutter contre les tentatives françaises en vue de soumettre les territoires alentour. Cheikh Ma Al-Aïnin proclame le djihad général et s’arrange pour que des cargaisons d’armes parviennent jusqu’aux foyers de résistance à Smara et dans l’Adrar. Ma Al-Aïnin négociait avec les firmes Woermann de Hambourg et Torrese de Barcelone qui expédient les armes avec la complicité de leur gouvernement à Tarfaya par bateau.

1905 : le sultan Abdelaziz, roi du Maroc, envoie son oncle Moulay Idris Ben Abderrahmane Ben Souleymane rejoindre Ma El-Aïnin avec une cargaison d’armes.

1911 : accord franco-allemand sur la prépondérance de la France sur le Maroc.

1912 : signature du traité de Fez et début du protectorat français sur le Maroc. Le sultan Moulay Hafid place son pays sous la protection de la France. «La pleine liberté d’action» est assurée à l’Espagne dans la Saguia El-Hamra. Convention fixant les frontières et zones d’influence française et espagnole sur le Sahara.

septembre et novembre 1930 : voyage de Michel Vieuchange dans la région accomplissant près de 1400 km à pied de Tiznit (sud du Maroc) à Smara (nord-est du Sahara occidental).

1932 : publication en France de «Smara» récit de voyage de Michel Vieuchange, textes reprenant in extenso les carnets de voyage de Michel Vieuchange chez les dissidents du Sud marocain et du Rio de Oro, avec 53 gravures et une carte ainsi qu’une préface de Paul Claudel.

1934 : les Français brisent la résistance sahraouie. Les Espagnols sont cantonnés dans de petits postes côtiers. Une trêve est conclue entre les Français et les Aït Ba Amrane.

Milieu du XXe siècle : découverte d’un important gisement de phosphates à Bou Craa. Les Espagnols envisagent la création d’un micro-État (70 000 habitants) dont il leur sera facile de guider les orientations économiques (2).

1953 : lutte effective pour l’indépendance au Maroc. Des milliers de Sahraouis rallient l’Armée de libération du Maroc (marocaine), en tant que citoyens marocains.

Janvier 1956 : Indépendance du Maroc; les Sahraouis rejoignent le Sahara demeuré sous le joug espagnol ainsi que Ifni et Tarfaya. L’Armée de libération du Maroc est dissoute et le nouvel Etat indépendant n’engage pas d’affrontement direct avec l’Espagne sur les territoires du Sud.

Janvier 1958 : création par l’Espagne du territoire administratif du « sahara espagnol» rassemblant les territoires de Río de Oro et de Saguia el-Hamra. La même année, l’Espagne cède la bande de Tarfaya au Maroc.

Juillet 1962 : indépendance de l’Algérie.

Mars 1963 : signature à Alger de la convention d’établissement algéro-marocaine garantissant la libre jouissance de leur propriété des Algériens au Maroc et des Marocains en Algérie.

Octobre 1963 : affrontement dit de la “guerre des sables” dans la hamada à la frontière algéro-marocaine entre l’armée marocaine et la jeune armée algérienne issue de l’Armée de libération nationale.

1963 : à la demande du Maroc, le comité spécial de décolonisation de l’ONU inclut le Sahara occidental dans la liste des territoires devant être décolonisés.

1965 : le Maroc demande à l’Espagne d’engager des négociations directes pour la restitution des territoires occupés du Sahara occidental. Fin de non-recevoir de Madrid.

Juillet 1972 : signature du traité dit de Ifran de délimitation des confins algéro-marocains devant mettre un terme aux questions des frontières entre les deux pays. Le Maroc ne dépose pas les instruments de ratification de ce traité devant l’ONU.

Mars 1973 : un dahir (décret royal) proclame le transfert à l’Etat de la propriété des immeubles agricoles appartenant aux personnes physiques étrangères et aux personnes morales. Des milliers d’algériens de Guercif, Agadir, Taza, Oujda, Berkane, Casablanca, Nador et Fès sont spoliés .

1973 : création du Front Polisario (Frunte para la liberacione de Saguia Hamra y Rio de Oro) par les indépendantistes sahraouis, essentiellement des anciens combattants de l’Armée de libération du Maroc, déçus par le régime marocain.

1975 : l’Espagne quitte le Sahara occidental. Accords de Madrid confiant l’administration de Saguia El-Hamra au Maroc et du Rio de Oro à la Mauritanie. Cette région désertique est habitée par moins de 100 000 personnes, pour la plupart nomades.

6 novembre 1975 : à partir du PC opérationnel d’Agadir, le roi Hassan II prononce l’ordre «Osman en avant...» et fait déployer 350 000 marcheurs qui franchissent les barbelés marquant la frontière entre le Maroc et le Sahara occidental. S’ensuit l’occupation militaire.

Début 1976 : invasion militaire du territoire du Sahara occidental par l’armée marocaine. Un grand mouvement de fuite des populations civiles est observé. A l’arrivée des troupes marocaines dans les villes, les habitants s’enfuient dans le désert, ne laissant que les femmes, les enfants et les personnes âgées ou incapables de partir. Des retours sont enregistrés, mais de milliers de Sahraouis prennent la route de l’exil et se regroupent dans les camps de réfugiés de Tindouf.

1976 : le Front Polisario engage une guérilla visant à l’établissement d’une République sahraouie indépendante. Les hommes du Polisario dirigent la plupart de leurs attaques contre les forces mauritaniennes. Proclamation de la République arabe démocratique sahraouie (RASD) dont le gouvernement est installé à Tindouf avec les réfugiés sahraouis.

1978 : mort de Houari Boumediene. La tension se relâche entre l’Algérie et le Maroc et un lent processus de paix est engagé.

1979 : la Mauritanie abandonne le Sahara occidental, laissant seul le Maroc, qui annexe la zone mauritanienne non incluse dans les territoires sous son administration dans le traité de Madrid. Le Conseil de sécurité de l’ONU condamne «l’occupation marocaine» et reconnaît le Front Polisario comme «représentant légitime du peuple sahraoui».

1981 : la construction des «murs» marocains marque un tournant stratégique dans le conflit. Ce remblai isole la côte atlantique du Sahara, qui constitue une importante zone de pêche, et 200 000 km2 de Sahara «utile» sur les 267 000 km2 du territoire. Les gisements de phosphates de Bou Craa sont mis à l’abri. Le Maroc organise un mouvement migratoire et met en place une importante infrastructure économique et sociale. Le Maroc investit, entre 1976 et 1989, environ 2,8 milliards de dollars pour soutenir la croissance locale. Plus de 100 000 fonctionnaires marocains vivent au Sahara et près de 160 000 soldats y sont cantonnés.

1982 : l’Organisation de l’unité africaine (OUA) admet la RASD en tant que membre après qu’elle ait été reconnue par une soixantaine d’Etats.

1985 : le Maroc quitte l’OUA.

1988 : le plan de paix de l’ONU est accepté par le Maroc et le Front Polisario.

1990 : réédition en France du livre de Michel Vieuchange sous le titre «Smara : carnets de route d’un fou de désert» sans les photos originales de Michel Vieuchange ni la carte que son frère avait établie d’après ses relevés de 1930.

1991 : signature d’un accord de cessez-le-feu permettant la mise en œuvre du plan de paix. Le référendum d’autodétermination prévu en 1992 se heurte à la difficile définition du corps électoral.

Résolution 690 du Conseil de sécurité qui crée la Mission de l’ONU pour l’organisation du référendum au Sahara occidental (Minurso). Le texte indique que «le peuple du Sahara choisira librement et démocratiquement entre l’indépendance et l’annexion au Maroc». Pour organiser ce référendum, la Minurso devait s’occuper du recensement des votants, de la libération des détenus et du rapatriement des réfugiés sahraouis résidant en Algérie.

1993 : Rabat inclut «institutionnellement» le Sahara occidental dans les élections municipales et législatives et dans le référendum constitutionnel.

1994 : début des opérations d’enregistrement des électeurs sahraouis. Au moins 150 000 réfugiés sahraouis sont installés dans les camps de Tindouf. La base du corps électoral est celle établie en 1974, lors du recensement effectué par l’Espagne, qui avait dénombré 74 000 personnes. Le Maroc propose une liste complémentaire de 120 000 noms. Selon un rapport cité dans Civil Society publié au Caire en mars 1996, l’ONG de défense des droits de l’homme Human Right Watch indique que Rabat aurait transféré, en 1991, pas moins de 40 000 personnes dans le Sahara, qui y vivraient dans des tentes.

1995 : le diplomate américain Frank Rudy (ancien vice-président du comité d’organisation du référendum et membre de la Minurso) dénonce, devant le Congrès, à Washington, l’erreur d’avoir accordé aux deux belligérants (Maroc et Polisario) le soin d’identifier les électeurs potentiels, en lieu et place de l’ONU. Le nombre des personnes aspirant à voter avoisinait cette année-là les 230 000 à 250 000 si l’on incluait les émigrants sahraouis en Algérie, en Mauritanie, aux îles Canaries, en Espagne métropolitaine et en France.

1995 : le Polisario libère 185 prisonniers de guerre marocains.

Novembre 1996 : le Maroc libère 66 détenus du Front Polisario. Ils rejoignent Tindouf où se trouvent les camps de réfugiés sahraouis.

1996 : Ahmed Alaoui, ancien ministre et proche conseiller du roi Hassan II, propose au Polisario la solution dite de la «régionalisation», une solution de rechange à l’indépendance qui consiste en une intégration au Maroc basée sur l’autonomie et la décentralisation. La thèse de l’autonomie dans le cadre de l’Etat marocain est soutenue aussi par Javier Ruperez, du Parti populaire (PP) espagnol, président de la commission des affaires étrangères du Congrès des députés de Madrid, qui indique que «la question du Sahara doit faire l’objet d’une négociation et rendre propice l’existence d’un Sahara autonome dans le cadre de la souveraineté marocaine».

1997 : le « «Report of the Secretary General on the Situation Concerning Western Sahara» du Conseil de sécurité des Nations unies souligne que «l’Union européenne, les Etats-Unis et l’ONU ont intérêt à ce qu’une issue se dégage de ce contentieux qui affecte l’Afrique du Nord et qui ajoute un élément d’instabilité à une région déjà fortement perturbée par la guerre civile en Algérie. Situé dans une zone prioritaire pour la sécurité de l’Europe, le Sahara occidental oppose directement le Maroc et l’Algérie, qui se sont affrontés pour l’hégémonie régionale».

1997 : Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, permet de relancer le processus de paix au Sahara occidental et nomme James Baker, ancien secrétaire d’État américain, comme envoyé personnel pour le Sahara occidental.

Avril 1997 : Baker visite la région

Septembre 1997 : réunion sous la houlette de James Baker des Sahraouis et des Marocains à Houston (Etats-Unis). Signature des accords de Houston qui prévoient la tenue du référendum en 1998.

Décembre 1997 : reprise de l’identification des électeurs. Elle bute à nouveau sur le statut de plusieurs tribus nomades. Le référendum est repoussé à décembre 1999.

1999 : rejet par la commission d’identification de la plupart des demandes individuelles d’inscription de ces tribus; le Maroc n’approuve pas. Le Polisario déclare une possible reprise des hostilités armée si le référendum est continuellement repoussé. La RASD adopte sa constitution.

2000 : premier plan Baker connu sous le nom «Baker I» offrant une large autonomie locale dans le cadre de l’État marocain. Les compétences du royaume sont limitées à la défense et aux affaires étrangères. Le plan est accepté par le Maroc et rejeté par le Polisario.

Libération de 201 prisonniers marocains détenus par le Polisario.

2002 : dans un rapport remis au secrétaire général de l’ONU, le Maroc est qualifié pour la première fois de «puissance administrante» du Sahara occidental sans que cette qualification ne soit portée sur la liste des territoires non autonomes tenue par l’ONU. «Puissance administrante» aurait autorisé le Maroc à exploiter les ressources naturelles du territoire.

2003 : nouveau plan de James Baker appelé «Baker II». Il prévoit l’établissement d’une Autorité du Sahara occidental pour cinq ans avant la tenue du référendum auquel les marocains non originaires du Sahara occidental participeraient et où la nouvelle option d’une «autonomie permanente» figurerait. Le plan est approuvé unanimement par le Conseil de sécurité sous la condition de son acceptation par toutes les parties. Le plan est refusé par le Maroc, considérant qu’il compromet son «intégrité territoriale».

Août 2003 : le diplomate péruvien Alvaro de Soto est nommé par l’ONU au poste de Représentant spécial pour le Sahara occidental.

Mars 2004 : début des échanges des visites familiales sous l’égide de la Minurso. Un premier groupe de réfugiés sahraouis de Tindouf se rend à Laâyoune, dans les Territoires du Sahara occidental, pour la première fois depuis 25 ans. Le même vol dans l’autre sens dépose avec un nouveau groupe de personnes qui peuvent visiter leurs familles dans les camps de réfugiés à Tindouf.

Juin 2004 : James Baker démissionne de son poste de représentant du SG de l’ONU pour le Sahara occidental.

2004 : projet d’autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine, lancé par Rabat et rejeté par le Front Polisario.

Mai 2005 : déclenchement des manifestations et émeutes, surnommées «intifadha pour l’indépendance» par le Polisario. Elles ont lieu principalement à Laâyoune et dans plusieurs villes du Sahara occidental. Des journalistes étrangers sont expulsés après avoir interviewé des manifestants.

Juillet 2005 : Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU, nomme Peter van Walsum, envoyé personnel pour le Sahara occidental du secrétaire général des Nations unies.

Août 2005 : libération des 404 derniers prisonniers de guerre marocains détenus pendant plus de 20 ans par le Front Polisario.

Décembre 2005 : quatorze militants sahraouis sont condamnés à des peines de prison. Amnesty International et Human Rights Watch expriment de vives réserves sur les conditions de ces procès. Amnesty International demande une enquête sur les accusations de torture de prisonniers.

2006 : le roi Mohamed VI met en place le Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (CORCAS). la troisième voie de l’autonomie, entre l’annexion et l’indépendance est proposée aux Sahraouis.

Le Maroc se dit favorable à la tenue d’un référendum d’autodétermination de la population du Sahara Occidental s’il n’inclut pas parmi ses options l’indépendance du territoire.

Décembre 2006 : le Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (CORCAS, assemblée de notables Sahraouis) propose au roi Mohammed VI «la mise sur pied d’un gouvernement local, d’un Parlement et d’une autorité judiciaire autonomes dans le territoire du Sahara».

Avril 2007 : adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 1754 exhortant les deux parties à entamer des négociations directes sans conditions préalables et de bonne foi. La même résolution prolonge la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) jusqu’au 31 octobre 2007.

Avril 2007 : le Maroc présente son projet d’autonomie du Sahara Occidental. Le projet d’autonomie pour le Sahara s’articule autour de trois axes : la souveraineté du Maroc, la prise en compte des particularités sociales et culturelles de la région et les critères internationaux en matière d’autonomie.

19 et 20 juin 2007 : premier round de négociations de Manhasset (banlieue huppée de New York, Etats-Unis) appelé Manhasset I.

10 et 11 août 2007 : deuxième round de Manhasset qui ne débouche sur rien de concret.

8 et 9 janvier 2008 : troisième round de négociations de Manhasset qui conclut à la nécessité d’entamer une nouvelle phase de négociations, «plus intensive et substantielle» pour les deux parties en conflit.

18 et 19 mars 2008 : quatrième round des négociations de Manhasset qui confirme l’échec de ces premiers pourparlers.

Mai 2008 : Peter van Waslum exprime une opinion personnelle devant le conseil de sécurité considérant que si aucune pression n’est exercée sur le Maroc, l’option d’indépendance du Sahara occidental est un objectif irréaliste.

30 avril 2008 : le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 1813 qui renouvelle en substance le mandat de la Minurso jusqu’au 30 avril 2009, réitère les principes fondamentaux énoncés lors des résolutions précédentes mais surtout «fait sienne la recommandation formulée dans le rapport selon laquelle il est indispensable que les parties fassent preuve de réalisme et d’un esprit de compromis afin de maintenir l’élan imprimé au processus de négociation».

Septembre 2008 : Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon nomme le diplomate américain Christopher Ross comme son envoyé spécial personnel pour le Sahara.

Juin 2009 : élections locales au Maroc étendues aux territoires du sahara occindetal. Le Polisario dénonce cette «provocation grave».

Août 2009 : réunion informelle entre les représentants du front Polisario et du Maroc en attendant une reprise rapide des négociations.

Chronologie réalisée par Amine Esseghir


(1) – Selon le document de la Cour internationale de justice de la Haye, Western Sahara : Advisory Opinion of 16 October 1975, le tribunal a reconnu que, dans le cas du Sahara, des liens historiques existaient entre le Maroc et les tribus de la région, mais ceux-ci ne prévalent pas sur le principe du droit à l’autodétermination. Par ailleurs, un grand expert de la région, George Joffé, actuel directeur d’études de l’Institut royal des affaires internationales de Londres, écrivait : «La Cour a pris soin d’expliquer qu’elle admettait que de tels liens (historiques) existaient avec certaines, mais pas l’ensemble, des tribus du Sahara occidental (...). Cependant, la Cour était sceptique quant à la revendication marocaine puisque les tribus concernées étaient nomades, éparpillées et non circonscrites à l’intérieur de frontières précises – circonstances que de précédentes décisions de la Cour avaient jugées inadaptées à une souveraineté territoriale.

(2) - Selon l’historien Tony Hodges, cette perspective serait à l’origine de la naissance du sentiment national sahraoui alors que les péripéties de la guerre de libération du Maroc avaient surtout mis en évidence la propension des Sahraouis à se mettre consciemment sous la souveraineté du roi du Maroc.

(3) - Jusqu’au milieu du XXe siècle, les Espagnols maintiennent une faible autorité sur ces territoires. La colonisation militaire a abandonné à plusieurs reprises ses fortifications.

Sources principales

Ibn Khaldoun : Histoire des Berbères Traduction de De Slane - Geuthner (Paris 1982)

Tony Hodges : Western Sahara. The Roots of a Desert War -Lawrence Hill (Wesport 1983)

Tony Hodges : The Western Sahara, Minority Rights Group (Londres 1991)

Tony Hodges : The Origins of Saharawi Nationalism

Richard Lawles et Laila Monahan : War and Refugees

The Western Sahara Conflict - Pinter (Londres 1987)

Stephen Zunes : Western Sahara. Peace derailed - Current History (1996)

Mariano Aguirre : Dossier sur la fin du conflit au Sahara occidental, in Le Monde diplomatique (Paris, novembre 1997)

Les résolutions de l’ONU concernant le Sahara occidental sont disponibles sur le site Internet www.arso.org

Articles de la presse algérienne, marocaine, espagnole, française et américaine.


In hebdomadaire Les Débats semaine du 19 au 25 août 2009


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