En septembre 2009 j’entrepris le tournage d’un documentaire sur la bataille de Timimoun. Le film était proposé dans le cadre de la célébration des 54 ans du déclenchement de la guerre de libération, soutenu par le ministère des Moudjahidine et produit par la télévision nationale. Il est diffusé régulièrement par les chaînes de la télévision nationale depuis novembre 2009.
Dès le départ, le seul parti pris était d’éviter cet aspect panégyriste des films commémoratifs tel qu’on a été habitué à les voir en Algérie, d’autant que l’essentiel des moudjahidine engagés dans la bataille primordiale étaient morts lors de l’affrontement de Hassi Ghambou, en plein désert.Il ne restait donc que des témoins et des gens liés plus ou moins à l’opération gigantesque de part et d’autre – ALN et armée française – qui eu lieu en 1957. La démarche consistait à explorer la dimension foncièrement humaine des faits à travers les témoignages des acteurs en abandonnant la dimension historique aux chercheurs et universitaires.
Le 15 octobre 1957, des méharistes, des soldats Algériens intégrés dans l’armée française en Algérie en fait, désertent dans le sud algérien. Ils se retrouveront face aux paras de Bigeard dans l’une des batailles les plus importantes durant la guerre de libération en Algérie dans le Sahara. Le documentaire tente de raconter cette épopée avec les témoins Algériens et Français de cet événement. La désertion et la dite bataille de Timimoun avait en son temps suscité l’intérêt du monde entier. En fait, la bataille avait permis de sortir au grand jour la question du sud algérien qu’on éludait car on supposait, du coté de la colonisation, que cette région ne ferait pas l’objet de revendications si jamais des négociations étaient engagées quatre ans après le début de la guerre, appelée pudiquement par les Français événements. Le sud Algérien devenait, avec les quelques batailles et accrochages avec l’armée coloniale était un enjeu politique réel alors que l’indépendance de l’Algérie n’était même pas à l’ordre du jour pour les colonisateurs, en fait. Les événements de Timimoun ont eu le mérite de poser en termes claires la problématique du Sud Algérien.
Contexte
La France coloniale avait décidé de faire du Sahara un territoire ne faisant pas partie de la colonie Algérienne, mais plutôt de le considérer comme une mer intérieure sur laquelle tous les riverains avaient des droits. Une décision un petit peu alambiquée alors que les relents de pétrole dans le désert du Sahara arrivaient aux narines des investisseurs et des aventuriers de tout bord. Par ailleurs, au-delà des ressources énergétiques, le Sahara était cette zone d’essais militaires stratégiques tout à fait opportune. Dans le même temps, sans une mobilisation réelle des forces populaires dans la région, il aurait été difficile pour le mouvement national de prétendre à une quelconque revendication sur ces territoires même si de nombreux moudjahidine dans le nord étaient originaires de ces régions.
Cette dimension politique essentielle a été largement traitée dans le documentaire à travers les propos de Dahmane Touati, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Adrar, Mekki Kelloum, moudjahid d’Adrar et brillant sociologue ainsi que Abdelkader Heni, chercheur en histoire de Sidi Belabbes. Cela a permis de libérer la parole de tous ces moudjahidine oubliés par les projecteurs. Eux, avaient à témoigner de leur rôle et de ce qu’ils ont vu, mais surtout de leur souffrance et avaient envie de dire aussi leur fierté d’avoir combattu pour leur région.
La part du feu
Dans le désert, la colonisation se disait en terrain conquis. Il est en effet difficile d’imaginer aujourd’hui le contexte de sous développement et d’arriération dans lequel étaient maintenus les habitants de ces régions désertiques. Timimoun ou Adrar et la région du Touat en général n’ont pas connu d’avancées techniques ou civilisationnelles particulières. Les supposés bienfaits de la colonisation n’ont jamais atteint ces confins sahariens. Pourtant, l’opération de désertion, imaginée par le commandement l’ALN, allait engager la région dans une bataille où on assistera à une immense mobilisation des moyens. La presse de l’époque en a fait des tartines alors que le lobby pétrolier a mis à la disposition des militaires tout ce dont ils avaient besoin. Après leur désertion, les méharistes ont attaqué un convoi de pétroliers à Tasselgha entre Timimoun et Ménéa. L’armée avait déployé plus de 1500 hommes, avait eu recours à l’aviation et avait ouvert des camps de concentration pour isoler les populations nomades locales des combattants.
La bataille essentielle de Timimoun est en fait l’affrontement sanglant qui eut lieu à Hassi Ghambou, face aux paras de Bigeard. Ces derniers subiront de lourdes pertes. Douze paras tués dans l’erg et huit autres blessés. Les photos prises par Marc Flament, le photographe para ont donné un élément de véracité supplémentaire au récit. Interviendra à ce sujet justement Raymond Cloarec, un ancien « Bigeard boy », militaire de carrière qui a dénoncé plus d’une fois les exactions commises par l’armée française en Algérie.
Témoin inestimable, il avait pris le commandement de sa section lorsque le lieutenant et son adjoint, le sergent chef Sentenac, ami de longue date de Bigeard, ancien combattant d’Indochine a été tué au combat face aux méharistes déserteurs. Les deux soldats français avaient été abattu par un certain Fodil Bechrier, tireur d’élite. Lui-même mourra dans le mitraillage opéré ensuite par un hélicoptère.
Ce groupe de méharistes était dirigé par un ancien des leurs, Belhachemi, originaire de la région et connaissant le désert comme sa poche. Son erreur stratégique aura été de vouloir créer un maquis dans une région où comme le dira Dahman Touati, la nature est le premier ennemi de l’homme. Erreur tactique peut-être, mais qui sera l’occasion de marquer définitivement cette région et la lier à l’Algérie entière avec le sacrifice de tous les compagnons de Belhachemi, les 45 martyrs, tous méharistes.
Un second groupe dirigé par Ferhat, officier de l’ALN envoyé spécialement pour cette mission, tentera de rejoindre Figig, base arrière de l’ALN dans le sud marocain.
En tout état de cause, la triple approche qui a consisté à déterminer la dimension humaine des faits, la confrontation des témoignages Algériens et Français et la mise à contribution des travaux académique à travers les propos des historiens, a permis plus que tout de toucher du doigt un principe rappelé à chaque occasion par les historiens les plus sérieux. L’histoire de l’Algérie moderne, principalement sa phase coloniale et combattante ne peut s’écrire qu’à deux, Français et Algériens. Cela peut paraître une impossibilité quand on voit le tabou que représente la guerre dite d’Algérie dans l’opinion française et on comprend aussi pourquoi ce principe est rarement mis en pratique.
Une histoire à deux
Ce film qui n’évoquait en aucune manière un épisode polémique de la guerre de libération mais il ne pouvait cerner la vérité des faits qu’en interviewant, en plus des moudjahidine, témoins des faits et des historiens qui ont creusé le sujet, Raymond Cloarec, un parachutiste de Bigeard qui a participé à la bataille et qui a bien voulu témoigner. Il assurait donc ce reflet de la mémoire, indispensable pour une connaissance de l’histoire beaucoup plus complète et sans lequel l’évocation tient du soliloque.
Concrètement, le témoignage français a permis de palier la difficulté de cerner les faits à cause de l’absence d’archives algériennes où leur rareté. Une population colonisée n’a pas connu le luxe de l’apprentissage et de l’école.
Par ailleurs, avec le temps les mémoires se sont érodées et les acteurs sont morts souvent sans laisser derrière eux des traces de leurs actes et les témoins ont disparus sans écrire ce qu’ils ont vu. Lors du tournage il a été difficile d’interviewer des méharistes déserteurs. Trop âgés pour les survivants, on a vite compris l’urgence de compiler les témoignages avant que ne disparaissent ces bibliothèques vivantes que sont les vieux anciens combattants, d’ici et de là bas.
Amine Esseghir
Journaliste – cinéaste
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