dimanche 13 septembre 2009

Aïd et nouvelle lune... c'est le moment d'en parler

Un article qui date de l'année dernière... mais en fait je récidive sur le sujet chaque année... la famille qui avance doit posséder un sacré sens de la persévérance.

Astronomie et calendrier hégirien
Musulmans au clair de lune





Cette année encore, on a scruté le ciel et, mauvaise nouvelle, on le scrutera encore à la fin du mois. Pourtant, on pourrait se passer d’autant de peines, des calendriers précis existent.
On a observé le ciel pour savoir quand débute le ramadhan, on le fera pour savoir quand il s’achèvera.


Al Battani, Al Birouni et Ibn Al Haytem doivent se retourner dans leurs tombes. Leurs coreligionnaires actuels ont cédé au diktat des ignorants. Ils ont réduit les musulmans à un amas de contemplatifs scrutant le ciel au crépuscule pour déterminer le début de leurs mois de jeûne. Ils se sont condamnés dès lors à l’incapacité de fournir au monde un calendrier précis et unifié. Aux Etats-Unis et en Europe, les musulmans ont décidé de passer outre l’observation physique. Ils ont établi un calendrier anticipatoire dont il est difficile de discuter la précision et la conformité avec les principes religieux qui fondent l’observation même du croissant lunaire. Sont-ils moins musulmans que les musulmans scrutateurs ? Certainement pas, ils sont même d’une rigueur exemplaire. Quiconque possède un minimum de culture religieuse sait ce que pèse la prise de décision du début de la pratique d’un des cinq piliers de l’islam.
Il faut dire que cette problématique du calendrier qui anticipe les dates et qui les unifie pour les principaux rites musulmans a donné lieu à pas mal de débats, malheureusement restés sans suite. La question a été débattue lors de plusieurs sommets de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Les recommandations tendent certes à unifier les dates des rites musulmans. Mais on a préconisé à l’OCI justement de faire prévaloir l’observation physique du croissant pour décider du jour du début de Ramadhan, des mois de Choual et de Dhou el-hidja, hypothéquant pour un long moment la capacité des musulmans à unifier leur calendrier.
Pourtant à l’image des musulmans en Occident, un ingénieur en télécommunications marocain, amateur d’astronomie, a écrit en 2005 un ouvrage particulièrement intéressant et novateur sur le Calendrier lunaire islamique unifié (CLIU).

Nuits blanches
Djamel Eddine Abderrazik a démarré sa réflexion du fait qu’un calendrier lunaire dont les débuts de mois sont tributaires d’une observation effective et physique du croissant ne peut être considéré comme un véritable calendrier. Et à Abderrazik d’asséner une évidence : un calendrier a une dimension prévisionnelle fondamentale. Concernant l’observation. Celle-ci n’est valable et légale qu’en fonction de méthodes de légalisation qui diffèrent d’un pays à un autre. Cette situation fait qu’aujourd’hui, les musulmans ne jeûnent pas tous le même jour. Tous, à la veille de Ramadhan ou de l’Aïd, ne savent pas s’ils vont jeûner ou pas le lendemain. Quant aux différences, elles peuvent atteindre jusqu’à deux jours d’un pays à un autre. Abderrazik a ainsi revu tous les projets de calendriers unifiés et même certaines démarches particulièrement audacieuses – on prévoyait de lancer un satellite d’observation du croissant de lune qui unifierait ainsi les dates des musulmans hors du territoire d’un Etat ou d’un pays. Il reste que le livre de Abderrazik conclut que sans recours au calcul, et au calcul seul, et sans volonté de consacrer le principe de «transfert de la visibilité» dans les conditions énoncées et sans l’adoption du système international du temps, les musulmans risquent d’attendre longtemps un calendrier lunaire islamique unifié.
Cette même approche emplie de bon sens, on la retrouve dans un article paru dans le quotidien saoudien Al Watan le lendemain du début du ramadhan de cette année. L’article mettait en évidence la déclaration du mufti d’Arabie saoudite qui autorisait l’utilisation des observatoires astronomiques dans l’observation du croissant de lune. L’auteur souligne que cette propension à faire admettre une manière de faire contre une autre (l’observation physique contre le calcul astronomique) n’est qu’une affirmation de positions. Dans le même temps, il souligne que le refus de se référer au calcul astronomique dans la mise en place du calendrier lunaire revient à ce que les musulmans se passent des calculatrices ou des ordinateurs dans leur vie quotidienne pour se conformer à la lettre du Coran. Al Watan saoudien soulignait aussi que la question de l’observation du croissant lunaire ne pouvait être traité du point de vue religieux. Les outils permettant d’observer le croissant de lune et le mouvement des planètes sont d’ordre purement scientifique et dès lors le religieux doit se faire aider par le scientifique tout comme le juge se fait aider par le médecin légiste pour prendre une décision de justice.
L’observation de la naissance du croissant de lune, même si elle se déroule au coucher du soleil a procuré pas mal de nuits blanches à des scientifiques musulmans qui tentent de convaincre avec talent ceux qui résistent encore à l’implacable force des vérités scientifiques.
Mohamed Al Awsat Al Iyari est tunisien et consultant à la Nasa, aux USA. Il vient de passer trois ans à mettre au point un système d’observation de la naissance du croissant lunaire. Ce système compliqué et qui fait appel aux nouvelles technologies de l’image et aux réseaux de transferts de données sera opérationnel dans deux ans. Il devrait, selon son inventeur, mettre un terme aux polémiques qui minent toutes les initiatives qui tendent à unifier le calendrier musulman. Le projet de Al Iyari a coûté 67 millions de dollars et a nécessité la validation du système par de nombreux spécialistes de renom à travers le monde.
Il demeure que la question est de savoir si le système n’est bon qu’à observer la naissance le croissant de lune. Car si tel est le cas, ce sera beaucoup d’efforts pour pas grand-chose car parfois, le simple bon sens suffit à dépasser des difficultés aussi délicates que l’unification des débuts des rites musulmans. Al Battani n’avait pas hésité autant que cela pour proposer un calendrier arithmétique au début du Xe siècle.

Le simple bon sens
Depuis deux ans l’Islamic Society of North America (ISNA), se fondant sur les recommandations du Fiqh Council of North America, une des plus importantes – mais néanmoins indépendante –concentrations dans cette partie du monde d’érudits musulmans et de spécialistes de l’exégèse et des études islamiques, avait décidé de suivre les calculs astronomiques dans la détermination des mois lunaires en Amérique du Nord.
Cette année, l’ISNA récidive et il est heureux de voir que le European Council for Fatwa and Research établi à Dublin a publié le 28 août dernier un communiqué dans lequel il préconise de se référer aux calculs astronomiques dans l’anticipation des dates des mois de l’hégire notamment le début du mois de Ramadhan de Choual et de Dou el-hidja. Le communiqué souligne entre autres que «le calcul astronomique est une des science contemporaine qui a atteint un très haut degré de précision concernant le mouvement des planètes». Et tout en se reportant aux principes religieux, le communiqué indique que les calculs précisent justement quand débute le mois de ramadhan et dès lors le European Council for Fatwa and Research a décidé que le premier jour du mois de jeûne correspondait au 1er septembre 2008. ISNA a indiqué pour sa part que le 1er choual, jour de l’Aïd el fitr, conformément aux calculs, correspond effectivement au 1er octobre 2008.
En Algérie, la seule certitude est qu’on observera le ciel au couchant le 29 septembre pour savoir quand débutera choual. Pourtant, c’est bien en Algérie que des astrophysiciens de renom, Nidhal Guessoum et Karim Meziane, ont établi un calendrier quadri-zonal au début des années 1990, assez précis pour proposer une unification des dates. Aujourd’hui des chercheurs musulmans, notamment Guessoum, proposent un calendrier bi-zonal tout à fait clair et simple à appliquer, qui se passe totalement du rite de la nuit du doute et permet de prévoir les dates des débuts des mois importants avec la précision nécessaire et la conformité indispensable à la règle religieuse.
Il ne reste en fait que la décision politique qui se passera de cette observation aujourd’hui désuète d’un point de vue scientifique et religieux mais n’est utile finalement que d’un point de vue politique, mais cela est une autre histoire.
Amine Esseghir

In Les Débats du 10 au 16 septembre 2008



Bis repetita... en fait depuis 1991 je ne rate aucun ramadhan...


Observation du croissant de lune

Les Musulmans ont-ils la tête dans les étoiles ?

Le rite de la nuit du doute ne renseigne en aucune manière sur l'ampleur du débat qui secoue le monde musulman quant à la mise en place de calendriers prévisionnels. Reste à savoir si les musulmans souhaitent réellement trouver d'autres méthodes pour prévoir les dates de leurs rites. Le sondage susceptible de nous renseigner sur ce que veulent réellement les musulmans n'a pas encore été organisé.

Samedi 19 septembre, les Algériens sont scotchés devant leur petit écran. En prime time à la télévision algérienne, toutes chaines confondues, c’est la retransmission en direct de la réunion de la commission d’observation du croissant lunaire. La simplicité du décor comme l’humilité des présents sur le plateau ne renseigne en aucune manière sur l’importance phénoménale de l’événement qui se déroule sous les yeux de millions d’Algériens. Effectivement, on espère l’annonce de la date de l’aïd el fitr.
En attendant, on meuble. On parle du ramadhan, de l’école qu’il représente. C’est Bouzidi qui s’y colle devant des membres d’une commission, trop âgés pour se maintenir en alerte. Certain ont du mal à réprimer un bâillement. Enfin, l’annonce tant attendue arrive. Au bout d’un long communiqué qui maintient le suspens jusqu’à la dernière ligne, on apprend que suite à l’observation du croissant de lune à El Oued (comme d’habitude) l’aïd sera célébrée le lendemain, le dimanche premier jour du mois chawwal de l’an 1430 de l’hégire correspondant au 20 septembre 2009. On aurait presque entendu le « hourra » magnifique qui avait raisonné dans toutes les villes algériennes lors du match Algérie Zambie à la fin du laïus. Il n’en sera rien, mais il est certain que jamais dans l’histoire de la téléréalité on n’aura réussi un tel taux d’audience à si peu de frais.
Mais est-ce que on attendait réellement ce communiqué pour savoir ? En fait, la déclaration officielle du jour de l’aïd venait confirmer les prévisions astronomiques qui depuis des semaines, voire des années avaient prédéterminées le jour de la naissance de la nouvelle lune. Le communiqué lui-même rappelle ces données scientifiques fondamentales. Pourtant, depuis des jours la presse ne cesse de souffler le chaud et le froid. Interrogeant scientifiques et devins, elle annonçât tantôt un aïd dimanche et tantôt un aïd lundi. Le pays entier est saisi par le « qalou » (ils ont dit) ce verbe dont le pronom renvoi à une entité non identifiée qui décide dans l’opacité la plus totale du destin de toute une nation. Qalou c’est dimanche, qalou c’est lundi. Néanmoins, si l’incertitude, totalement inexacte, est effectivement maintenue comme la caractéristique de toute la démarche dans la prévision du jour de l’aïd, on ne pourra jamais reprocher autant à la commission de l’observation du croissant qu’au ministère des affaires religieuses et même à aucune institutions de l’Etat - ceux qui disent, ceux qui ont « qalou » - le manque de transparence. La commission d’observation du croissant de lune palie finalement à un paradoxe structurel chez les musulmans modernes. Alors que nous nous en remettons à la science pour notre santé ou pour construire nos maisons, nous refusons d’admettre la prévision des dates des rites importants. Mais est-ce que tous les musulmans en sont à cette situation complexe et schizoïde ? Ce n’est pas si sur.

Leçon d’Amérique

En Amérique du nord, l’Islamic Society of North America (ISNA) a décidé depuis 2006 de préciser les dates du début du ramadhan et de l’Aïd à travers un communiqué publié bien avant le début du mois de ramadhan. Ce même communiqué se réfère aux mêmes préceptes musulmans auxquels se réfèrent tous les musulmans de par le monde.
Le communiqué en question est entériné par la déclaration du Fiqh Council of North America (FCNA) qui reconnaît que les calculs astronomiques sont valables du point de vue de la shari’ah pour déterminer le début des mois lunaires. C’est d’ailleurs grâce à cette prévision que les musulmans des Etats Unis du Canada et du Mexique peuvent prétendre à des congés au moment des fêtes importantes (l’aïd el fitr et l’aïd el adha) dans ces pays. Il faut dire que les musulmans d’Amérique sont d’une audace sans pareille. Zulfiqar Ali Saleh le président du Fiqh Conuncil of America a publié un livre fort intéressant à ce sujet. Sous le titre « the astronomical calculation and ramadan », ce docteur en théologie explique que la vision à l’œil nu du nouveau croissant pour décider du premier et du dernier jour de ramadhan s’éloigne du principe même édicté par la shari’ah islamique et que le Coran n’a pas limité à cette seule méthode la prévision du premier jour du mois sacré.
Concernant l’aïd de cette année, le problème de la conjonction et de l’observation s’est accru alors que la visibilité du croissant devenait hypothétique le 29eme jour de ramadhan à cause de l’angle dans lequel se trouvait le croissant de lune et de la lumière.
D’ailleurs des communiqués comme celui du projet islamique d’observation du croisant aux Emirats et celui de l’association Sirius en Algérie ont mis en avant cette impossibilité d’observer le croissant de lune à l’œil nu à partir d’un pays arabe ou musulman. La possibilité d’observation facile à œil nu n’était possible que d’Afrique du sud ou en Amérique du sud. Est-ce que pour autant les fouqaha de l’ISNA ignoraient cette donnée ? Certes non, mais ils ont maintenu cette prévision alors que l’on comprend la complexité de ce genre de décision qui concernent l’ensemble des musulmans dans l’accomplissement d’un des cinq piliers de l’Islam. Cela serait aussi grave que si on se trompait sur l’heure de la prière, qui soit dit en passant sont prévues scientifiquement sans en référer à l’observation effective des phénomènes naturels qui les prédéterminent.
La prévision des dates n’est pas l’apanage des seuls musulmans d’occident. en Libye, on en s’en remet plus à l’observation du croissant de lune. Seule le calcul astronomique prévaut. Mais si en Libye les dates des fêtes sont connues à l’avances, dans le même temps la Libye se retrouve à fêter seule ses dates et avant tout le monde. Cette année encore, l’aïd en Libye, 1er Shawwal 1430 hégirien a été célébrée le samedi 19 septembre 2009.

Unifier les dates

On comprend donc que les dates ne sont pas unifiées même entre pays musulmans voisins. La problématique de l’unification du calendrier musulman est un autre sujet d’insomnie pour de nombreux scientifiques.
Certes on peut digresser sur la question de savoir quand s’attacher à la lettre du message prophétique et du saint Coran et quand il faut parler d’allégories, d’images ou de principes généraux, voire de spiritualité. A l’Organisation de la conférence islamique (OCI) lors de nombreux sommets ont abordé la question. Si les recommandations tendent à unifier les dates des rites musulmans, même à l’OCI on préconise toutefois l’observation physique du croissant pour décider du jour du début de ramadan, des mois de chawwal et de dhou el-hidja. Cependant, des musulmans hardis vont à l’encontre les principes établis et immuables décidés par les politiques existent.
Parmi eux Djamel Eddine Abderrazik, un ingénieur en télécommunications marocain, amateur d’astronomie, qui a écrit un ouvrage particulièrement intéressant et novateur sur le Calendrier lunaire islamique unifié (CLIU).
Pour Abderrazik, un calendrier lunaire tributaire d’une observation effective et physique du croissant ne peut être considéré comme un calendrier puisqu’il maque dans ce cas la dimension prévisionnelle propres aux calendriers. Quant à l’observation elle n’est valable et légale qu’en fonction de méthodes de légalisation qui diffèrent d’un pays à un autre. De fait les musulmans ne jeûnent pas tous le même jour une différence qui peut atteindre deux jours d’un pays à un autre. Abderrazik a conclu que sans recours au calcul, et au calcul seul, et sans volonté de consacrer le principe de «transfert de la visibilité» dans les conditions énoncées et sans l’adoption du système international du temps, les musulmans risquent d’attendre longtemps un calendrier lunaire islamique unifié, et mettre une croix (il n y’a aucune allusion religieuse dans ces propos) sur leur espoir de voir les fêtes et célébrations musulmanes unifiées.

Par Amine Esseghir


Interview

Nidhal Guessoum, astrophysicien de renom à propos d’un calendrier musulman prédéterminé

«L’ère de la civilisation musulmane n’a pas commencé»

Dans le débat qui secoue la société musulmane sur la nécessité ou non d’avoir un calendrier prédéterminé, les scientifiques musulmans sont en premières lignes. Incontestablement, au bout du compte, c’est de la pertinence de leurs approches que dépend la décision courageuse et historique que prendront un jour les Etats musulmans pour que justement le calendrier hégirien soit, même sans être unifié, un instrument de prévision au même titre que ne l’est le calendrier dit universel. Dans cet entretien, Nidhal Guessoum*, astrophysicien Algérien de renom explique les problématiques fondamentales liées à l’unification et à la prédétermination du calendrier musulman. L’élaboration d’un calendrier prévisionnel permettra selon lui d’entrer enfin dans l’ère de la civilisation musulmane. Petites réponses éclairantes…



Les Débats : Peut-on d’un point de vue scientifique et religieux nous passer de l’observation physique du croissant de lune pour déterminer les débuts des mois importants dans les rites (ramadan, choual et dou el hidja) ?

Nidhal Guessoum : Scientifiquement, on peut dire quand le croissant sera au-dessus de l’horizon et quand il ne le sera pas. Donc, dans certains cas, comme le début du Ramadan cette année, on pouvait dire avec certitude que cela ne pouvait pas être le vendredi 21 Aout, sauf si on adopte comme définition du début du mois celle de la Libye, c’est-à-dire une définition purement astronomique (conjonction), se débarrassant complètement de l’observation du croissant. Dans d’autres cas, comme celui de l’Aïd el-Fitr de cette année, nous pouvions dire quand le croissant sera dans le ciel mais sera trop fin et se couchera trop vite après le soleil pour être observable (dans un pays ou un autre). Dans ces cas, la décision concernant le début du mois dépend de si les fouqahas acceptent une observation faite « ailleurs » (en Afrique du sud, par exemple, dans le cas présent). Si maintenant on élargit la région et considère qu’un croissant vu au Sénégal est acceptable pour l’Arabie Saoudite ou même pour la Malaysie, alors nous astronomes pouvons bâtir un calendrier islamique (pour les besoins religieux) projeté des années à l’avance.



La réflexion autour d’un calendrier musulman prédéterminé est-elle réellement en train de concerner l’ensemble des musulmans et pas seulement la communauté scientifique ?

Non, pas vraiment. Malheureusement, les fouqahas et officiels (ministres des affaires religieuses, etc.) demeurent fixés sur « l’observation du croissant », c’est-à-dire quand il pourra être vu et dans quels cas on devra accepter un témoignage ou le rejeter ; ils sont loin d’être fortement intéressés par le problème plus global et plus fondamental d’établir un calendrier musulman, ce qui nous règlerait toutes ces questions d’un seul coup et nous ferait réellement entrer dans une ère de « civilisation musulmane ».



Vous parlez dans un de vos articles relatifs aux prévisions calendaires musulmanes d’une solution à la Kepler ? Comment expliqueriez-vous en quelques mots et de manière simple cette solution que vous préconisez ?

Kepler est le grand astronome qui a réalisé au début du XVIIe siècle qu’au lieu de s’obstiner à corriger les modèles planétaires (orbites des planètes), qui étaient jusque-là circulaires, avec de petits cercles rajoutés sur les grands cercles et les cercles moyens, il fallait tout simplement effacer tout cela et remplacer les orbites compliquées par des ellipses. J’appelle à ce même saut intellectuel et scientifique qui nous ferait passer des solutions du croissant (utilisation ou pas du télescope, projet de satellite, etc.) à la solution du calendrier musulman établi par les experts, déterminant ainsi les dates (religieuses et autres) des années à l’avance et rayant d’un coup toutes les polémiques et les tous les différends.

On parle aussi d’un calendrier musulman unifié quelles sont les conditions à réunir pour justement pouvoir l’établir ?

Le débat aujourd’hui parmi les experts (astronomes) musulmans sur le (futur) calendrier musulman est justement : est-ce qu’il doit être unifié pour le monde entier ou bien y a-t-il des contraintes qui font que nous seront forcés d’aller vers un calendrier bi-zonal (un pour l’Amérique, l’autre pour le reste du monde). Ce débat n’est pas encore tranché.

On voit chez les musulmans d’occident (je pense particulièrement à l’ISNA) une tendance claire à préconiser le calcul comme seul critère d’établissement du calendrier hégirien, tout en se référant aux règles jurisprudentielle du fiqh. Pourquoi ce qui est valable pour les musulmans en Amérique ne le serait pas pour ceux vivant ailleurs ?

Cela devrait certainement l’être, mais il semble que nos coreligionnaires (et fouqahas) dans le Nouveau Monde sont en avance sur les esprits qui prévalent dans le monde musulman traditionnel. Les fouqahas et autres observateurs musulmans de l’ISNA et du Conseil Européen se sont rendus compte (il y a quelques années seulement) que le problème de détermination planifié des occasions religieuses musulmanes, ce qui permettrait de régler d’un coup les deux problèmes de demandes de congé et de différends parmi les mini-communautés musulmanes d’Occident qui ont tendance à suivre les annonces de « chez elles » (là-bas), cette détermination planifiée ne pouvait se faire que par le calcul. Ils se sont aussi rendus compte qu’au lieu de se borner à une lecture littérale et simpliste des fameux hadiths, il fallait plutôt adopter une méthodologie de Maqasid al-Shari`ah (approche objectiviste du fiqh).

Est-ce que le fait de ne pas pourvoir établir un calendrier prévisible et permettant les prévisions nous oblige à recourir inévitablement au calendrier dit universel et perdre d’une certaine manière un élément structurant de l’identité des musulmans ?

Nous avons déjà dans une grande mesure adopté le calendrier dit universel dans notre vie commune, sauf dans de rares pays (comme l’Arabie Saoudite) où le calendrier civil (paiement des salaires, etc.) est hégirien. Sauf que même dans ces rares cas, le calendrier civil est régulièrement piétiné, dès qu’une occasion religieuse se présente et une « observation » inattendue est faite. Je doute que nous irons un jour vers une adoption totale du calendrier universel, car de toutes les manières les occasions religieuses islamiques sont basées sur le cycle lunaire, contrairement au calendrier universel qui est totalement solaire.

Propos recueillis par Amine Esseghir


*Nidhal Gussoum est un astrophysicien Algérien, actuellement professeur et chef de département de physique de l’Université Américaine de Sharjah (Emirats Arabes Unis). Il est titulaire d’un M.Sc. et d’un Ph.D. de « University of California at San Diego ». Précédemment il a travaillé deux ans au Goddard Space Flight Center de la Nasa.
Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages grands public dont « Histoire du Cosmos » avec Jamal Mimouni, livre édité en langue arabe et aussi le remarquable « Réconcilier l’Islam avec la science moderne, l’esprit d’Avéroes » aux Editions presse de la renaissance dans lequel il explique entre autre que non seulement la théorie de l’évolution est correcte, mais qu’en outre on peut l’accepter de manière compatible avec la foi. A propos du calendrier musulman il a publié en arabe « la détermination des mois lunaires et le calendrier musulman ».


Hebdomadaire Les Débats du 23 au 29 septembre 2009

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