Pratiques des rites religieux
A-t-on besoin d’une telle loi ?
Par quel espèce de pirouette sommes-nous passés de l’application de la loi contre le prosélytisme à ce qui ressemble à un procès moyenâgeux pour apostasie ?
Habiba Kouider, dont le procès est en attente de compléments d’informations, serait poursuivie en vertu de la loi de mars 2006. Celle-ci comporte une série de mesures administratives et des sanctions pénales à l’encontre de qui «incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion (...), fabrique, entrepose ou distribue des documents imprimés ou métrages audiovisuels ou tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi musulmane» ou qui exerce un culte autre que musulman «en dehors des édifices prévus à cet effet et subordonne l’affectation des édifices pour l’exercice du culte à l’obtention d’une autorisation préalable». Le texte crée également une commission nationale des cultes chargée de donner "un avis préalable à l'agrément" des associations à caractère religieux et à l'affectation d'un édifice à l'exercice du culte.
Cette loi est sensée lutter contre le prosélytisme, mais elle avait suscité au moment de son adoption des craintes, notamment de l’église catholique, alors qu’un représentant de monseigneur Tessier déclarait à l’AFP, en mars 2006, que «cette loi n'est pas très rassurante. Dans la formulation nous ne sommes pas très satisfaits. Des gens mal intentionnés peuvent en faire un usage abusif». Des craintes fondées dans la mesure où le premier procès religieux qui aura défrayé la chronique aura été celui d’un prêtre catholique, condamné par le tribunal d’Oran à un an de prison avec sursis pour avoir «célébré un rite dans un lieu non reconnu par le gouvernement». Selon l’ancien archevêque d’Alger, monseigneur Henri Teissier, «ce qui surprend le plus est que la condamnation a été émise parce que le prêtre avait rendu visite à un groupe de chrétiens du Cameroun : il n’avait pas célébré de messe, il avait seulement prié avec eux, le 29 décembre 2007, juste après Noël».
Contre qui ?
Persécution, le mot est dit. Mais persécution de tous les chrétiens sans distinction, serait-on tentés de croire puisque dans un autre cadre, mais au même moment, le pasteur Hugh Johnson, qui vivait en Algérie depuis plus de 45 ans et qui a été pendant plusieurs décennies le président de l’église protestante algérienne, s’est vu refuser le renouvellement de son titre de séjour début mars et a dû quitter le pays.
Pourtant, lors de la promulgation de la loi de 2006, les doigts étaient pointés vers les actions de prosélytisme. Sans le dire, on regardait vers les églises évangéliques qui, au-delà de la religion, proposeraient visas, argent et autres cadeaux en nature pour séduire des musulmans, apparemment à la foi chancelante et aux besoins sociaux économiques impérieux, qui seraient finalement assez nombreux pour obliger les pouvoirs publics à promulguer une loi dans un souci de préservation de l’ordre public.
La bonne foi de Abderrahmane Chibane, président de l’association des ulémas, ne peut être remise en question à ce propos alors qu’il déclarait à El Watan, en mars 2007, que les investigations des membres de son association dans différentes wilayas «ont démontré que l’église évangélique applique des méthodes qui doivent susciter la réaction de services de sécurité (…). Cette église ne peut suivre une vraie voie catholique ou protestante, quoi qu’elle se déclare protestante. Les missionnaires évangéliques nord-américains qui visitent l’Algérie pour rejoindre leurs amis dans les wilayas appartiennent tous aux groupes de néo-conservateurs… L’église évangélique cible la Kabylie, supposée être le maillon faible, Aïn Sefra, Sidi Bel Abbès, Mostaganem, Oran pour leur prétendue mentalité espagnole et française, puis le Sahara en se basant sur Timimoun et Tamanrasset… Nous avons des exemples répétés dans toutes les régions du pays visées par l’église évangélique».
Péril en la demeure ?
Déclaration assez péremptoire alors que l’on sait que le monde évangélique, aujourd'hui, est une véritable mosaïque. La diversité qui y règne est à l’image des firaq en islam et entre autres reproches que l’on doit faire à la loi, c’est qu’elle manque de préciser les détails. Effectivement, au-delà des églises évangéliques qui peuvent faire usage de moyens pas très «catholiques» pour convaincre des brebis musulmanes égarées, il y a aussi un tas de sectes ou de mouvements spirituels qui peuvent agir dans le cadre de l’application de la clause sur la liberté de conscience inscrite dans la Constitution. Dès lors, on voit bien que la loi veut agir sur les aspects matériels de ce qui pourrait constituer une manipulation des esprits et cela devient insuffisant et même provoque des errements préjudiciables à l’image du pays. Effectivement, comble du paradoxe, il aura fallu qu’au nom d’une loi républicaine, on aille intenter des procès en apostasie alors que rien dans les lois algériennes n’interdit en principe le choix libre de sa foi.
Amine Esseghir
Les églises évangéliques et le monde arabe
Selon le politologue français Charles Saint-Prot, grand connaisseur du monde arabe et musulman - il fut ami de Michel Aflaq – l’action des églises évangéliques dans les pays arabes se présente sous un triple aspect. D’abord une propagande anti-musulmane qui dispose de moyens considérables et qui vise à accuser les musulmans de tous les maux de la terre. Pour lui, les évangéliques sont les premiers à organiser, en liaison avec les néoconservateurs américains, connus pour leur engagement pro-israélien, des campagnes visant à assimiler l’islam au terrorisme, donc à «l’axe du mal». Le premier terrain de cette propagande serait, selon Saint-Prot, l’Arabie saoudite contre laquelle ils poursuivent une propagande inlassable tout en encourageant certaines confréries, des sortes de sectes d’obédience musulmane donc, à semer la division religieuse au sein du royaume.
Ensuite, l’instrumentalisation des communautés chrétiennes arabes est en action au Liban, en Palestine, en Syrie, en Irak.
Enfin, pour lui, la conversion des musulmans est l’aspect le plus spectaculaire de l’activité des évangéliques. Pour lui, il ne fait aucun doute que l’évangélisation de communautés musulmanes dont les origines ethniques peuvent suscité des projets sécessionnistes et anti-arabes chez les Kurdes d’Irak et de Syrie, en Kabylie ou dans les régions berbérophones au Maroc, tiennent de cette dimension.
Il faut savoir que depuis 1947, de nombreux dirigeants militaires et politiques américains, dont les Bush, appartiennent à un groupe évangélique, secret apparemment, dit «la famille». Cette organisation s’était alliée au Vatican, en Amérique latine, contre les théologiens de la libération, elle conduirait aujourd’hui, selon Saint-Prot, une double offensive contre les catholiques et contre les musulmans. Selon de nombreuses analyses jugées certes exagérées, «la famille» fournit désormais le principal encadrement politique aux États-Unis, et étendrait son influence dans le monde via ses missionnaires.
Les Débats du 4 au 10 juin 2008
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