Cessez-le-feu à Ghaza
«Fawran», la mauvaise comédie égyptienne
La fin provisoire d’un massacre de dizaines de Palestiniens de la bande de Ghaza, retransmise quasiment en direct sur quelques télévisions arabes, aura pris fin comme dans une pièce de théâtre macabre. Il aurait fallu, semble-t-il, un simple discours et un coup de téléphone pour en finir avec le cauchemar.
Le président égyptien Hosni Moubarak a appelé Israël samedi, soit 22 jours depuis le début de l’agression israélienne à cesser «fawran» (immédiatement) ses opérations militaires et à retirer ses troupes de la bande de Ghaza. «J'exige d'Israël aujourd'hui qu'il arrête immédiatement ses opérations militaires. J'exige de ses dirigeants un cessez-le-feu sans conditions et j'exige un retrait total des troupes israéliennes de la bande de Ghaza», a tonné un raïs visiblement irrité. Aussi simplement et en des termes clairs, l’appel égyptien aurait été immédiatement entendu par le Premier ministre israélien Ehud Olmert qui a annoncé le cessez-le-feu unilatéral.
Question à 1 300 morts : si c’était aussi simple que cela, pourquoi n’y a-t-on pas pensé tout de suite après les premiers bombardements ? Pourquoi a-t-on attendu 22 jours, 1 300 morts dont près de 500 enfants, des milliers de blessés, des villes entièrement dévastées, pour arrêter le massacre ?
La réaction égyptienne intervenait en fait après la signature vendredi sans l’Egypte, principal concerné, d’un accord entre la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice et la chef de la diplomatie israélienne Tzipi Livni, devant permettre la lutte contre la contrebande d'armes vers la bande de Ghaza. Des armes qui viendraient à travers les tunnels qui relient Ghaza à Rafah en Egypte. Un accord dénoncé immédiatement par Ahmed Abou El Gheit, ministre égyptien des Affaires étrangères, indiquant que l’accord n’engage que ses signataires. Colère légitime des Egyptiens qui jusque-là ont joué les intermédiaires compréhensifs, facilitant l’action d’Israël, tout en offrant, il est vrai, une porte de sortie et un moyen de communiquer à un mouvement Hamas isolé. Pourtant, le pouvoir égyptien était remercié de la plus vile manière, en le considérant comme quantité négligeable et sur le territoire duquel on se permet d’échafauder des plans d’intervention militaires, écornant ainsi sérieusement sa souveraineté.
Preuve des raisons de la colère du président égyptien : «L'Egypte n'acceptera jamais aucune présence étrangère d'observateurs sur son territoire. Je dis que c'est une ligne rouge que je n'ai pas permis, et ne permettrai pas qu'on franchisse». Là, ce n’est même plus la ligne rouge qui est franchie mais quasiment un acte de mépris outrageant.
Mais au moment où se met en colère le raïs, le mal est déjà fait. Les Palestiniens ne cessent de compter leurs morts, notamment les enfants. Ils constatent que l’armée israélienne s’est permis l’usage d’armes inconnues jusque-là qui aveuglent les enfants. Le plan de cessez-le-feu égyptien provisoire de dix jours, le temps de négocier les dispositifs de sécurité aux points de passage de la bande de Ghaza destinés à empêcher l'entrée d'armes dans le territoire n’est même plus d’actualité. Les Israéliens avec qui il coopère viennent de lui faire un enfant dans le dos, considérant le territoire égyptien terrain d’opérations où ils peuvent se déployer avec les Américains. Faisant fi des déclarations égyptiennes qui indiquaient que les armes ne transitaient pas par l’Egypte, mais arrivaient plutôt aux militants du Hamas par la mer.
Quel discrédit, quel affront alors que les Egyptiens se sont démenés comme de beaux diables pour aider les Israéliens à maintenir leur blocus sur Ghaza, ont tout fait pour faire échouer le Sommet arabe de Doha, ont fermé les passages de Rafah, étouffant l’autorité du Hamas et les Palestiniens avec, ont interdit l’entrée des aides humanitaires qataries à Ghaza, ils se voient récompensés par le déni de souveraineté sur leur propre territoire.
Quel crédit donner alors au coup de colère du président Moubarak ? Il a arrêté le massacre quand des voix se sont élevées au sein même d’Israël pour dire qu’il fallait s’arrêter. Il est allé contre l’opinion et la colère de la rue en Egypte quand les Egyptiens exprimaient eux aussi leur colère et leur ressentiment contre ce qui se passait à Ghaza. Il est intervenu quand les observateurs les moins avertis prédisaient que l’agression israélienne prendrait fin quelques heures avant la prise de fonction du président Obama à Washington.
Exiger d’Israël d’arrêter «fawran» ses opérations militaires à Ghaza était-il la meilleure des choses à dire à ce moment-là ? Certes, Ehud Olmert a annoncé quelques heures plus tard le cessez-le-feu unilatéral israélien, mais personne n’est dupe, pas même les hôtes illustres de l’Egypte à Charm El Cheikh.
Dernier tableau
La réponse des chefs d’Etat européens à l’invitation du président égyptien ne s’est pas fait attendre. Sans autre souci pour les moyens logistiques nécessaires à la tenue d’un tel sommet, sans prendre le moindre risque dans une zone qui a connu déjà un attentat meurtrier il y a à peine trois ans, le sommet de Charm El Cheikh s’est ouvert, coprésidé par les présidents égyptien et français. Etait-ce la moindre des politesses de la part des alliés d’Israël de venir soutenir un chef d’Etat qui a été critiqué, houspillé ? Il est vrai que dans le lot des chefs d’Etat, le président turc Abdullah Gül était présent, il représente un pays qui reconnaît certes Israël, mais qui n’a cessé de condamner l’agression israélienne à Ghaza.
«L'Egypte a été critiquée mais a bien travaillé », a indiqué le président Sarkozy. Difficile de comprendre ce que veut dire le président français. Son propre ministre des Affaires étrangères s’était indigné en voyant Israël bombarder des hôpitaux, des écoles dépendant de l’ONU et un immeuble abritant des organes de presse. En quoi l’Egypte a bien travaillé alors ? En n’empêchant pas Israël de commettre son massacre de Rafah à huis clos ? En évitant la naissance d’un front du refus arabe face à l’agression israélienne ? En appelant après 22 jours à un cessez-le-feu immédiat ?
Si le chef d’Etat égyptien savait être aussi efficace et bien travailler, il aurait pu faire cesser le massacre à Ghaza dès le déclenchement de l’offensive israélienne barbare, voire l’empêcher, puisque programmée de longue date et l’Egypte en était avertie. Les parents des enfants palestiniens assassinés à Ghaza lui en auraient certainement aussi rendu grâce.
Amine Esseghir
Les Débats du 21 au 27 janvier 2009
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