lundi 1 novembre 2010

Un vieux papier qui date 2006... mais qui rappelle des choses essentielles dans l'histoire récente de la ville.

La gestion de la capitale dans les méandres juridiques

Il était une fois le Gouvernorat du Grand Alger

En ce 21 mars 2000, premier jour du printemps, le ciel était couvert. Dans la salle de conférence de la wilaya d’Alger, qui venait de perdre son statut de siège du Gouvernorat, l’ancien gouverneur absent, cédait la place (certains voudront parler de trône) au nouveau wali Abdelmalek Nourani.

Cette cérémonie, loin d’être une passation ordinaire, marquait le retour à la normale entériné par l’ordonnance que venait de promulguer le président de la république qui faisait qu’Alger redevenait une wilaya comme les autres.
Le ministre de l’intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, agacé par les photographes quelques instants auparavant, soulignait dans sa déclaration que ce sont les circonstances particulières qui avaient prévalues dans le années 90 qui ont obligé les autorités à opter pour un statut particulier pour la capitale. Mais dès lors que la situation était revenue à la normale, il était aussi logique que les institutions reprennent leur forme initiale. Le ministre était pourtant contredit dans la salle même où il prononçait son discours. Sur un des murs de la salle, des plaques de marbres avec les noms de walis qui se sont succédés à la tête de la wilaya distinguant bien la période de la wilaya et celle nouvelle du Gouvernorat, inscrite dans la pierre, comme pour lui assurer sa pérennité.
Cette déclaration ne renseignait pas sur les dispositions légales ayant permis au Gouvernorat de voir le jour et les conditions dans lesquelles il venait de s’éteindre. Elle ne décrivait pas non plus cette atmosphère de fin de règne, ou plutôt de «restauration» qui pesait dans l’enceinte du siège de la wilaya. De toute évidence, les présents, responsables politiques ou de l’administration, les nombreux journalistes, assistaient plus aux obsèques du Gouvernorat qu’à la résurrection de la wilaya.
Le Gouvernorat, avec tout ce qu’il portait autant dans l’imaginaire collectif et dans la pratique courante de la gestion d’Alger, avait changé la manière de percevoir la capitale pour qui, il avait semblé durant quelques années, que tout était permis. Pourtant, si le Gouvernorat avait certes vécu, son expérience n’avait laissé personne indifférent du plus simple citoyen au plus haut responsable de l’Etat.

Quelques mois auparavant, probablement sans le savoir, des universitaires, des responsables de l’administration locale se réunissaient pour un docte séminaire à l’Ecole Nationale de l’administration pour débattre d’urbanisme et de bonne gouvernance, entre autres conférences, une consacrée au Gouvernorat d’Alger. Pour une façon de gérer différente, l’expérience vécue à Alger suscitait autant les envies et les jalousies que l’intérêt curieux, soulignait le conférencier.

La vraie raison


On supposait que cette formule –magique serait on tenté de la qualifier - allait être étendue à l’ensemble du pays du moins pour les grandes métropoles que sont Constantine, Oran ou Annaba, voire même Ouargla. D’ailleurs, est-ce que la plus grade faiblesse du statut du Gouvernorat n’a pas été celle de vouloir distinguer une ville de l’ensemble du pays. Dans une interview accordée en mars 2000 au quotidien El Watan, Ahmed Ouyahia alors qu’il venait d’être nommé ministre d’Etat, ministre de la justice, soulignait à propos du changement de mécanismes du Gouvernorat, que celui-ci «a d'abord été victime de cette pratique spécifiquement algérienne : lorsqu'on fait quelque chose ici, il faut le faire partout. Alger est la capitale de tous les Algériens, ceux d'Illizi comme ceux d'El Harrach. C'est de cela que nous souffrons. Que voulez-vous ? C'est une culture : il faut des cours partout. » Ouyahia ouvrait il une piste ou justifiait -il l’erreur monumentale ? En fait, le plus difficile à admettre est que l’on ait fait autant preuve de négligence et ignoré les dispositions constitutionnelles liées de l’organisation territoriale du pays. Cette négligence était inscrite dans la jurisprudence constitutionnelle algérienne, soulignant à jamais, que le législateur algérien a, à un moment de la vie institutionnelle du pays, omis de relire la texte fondamental du pays. La décision n°02/D.O/ CC/2000 du 27 février 2000 relative à la constitutionnalité de l’ordonnance n° 97-15 du 31 mai 1997 fixant le statut particulier du Gouvernorat du Grand Alger, rappelle que «l’alinéa 1er de l’article 15 de la Constitution que les collectivités territoriales de l’Etat sont « la Commune et la Wilaya », le constituant entendait limiter le découpage territorial du pays exclusivement à cesdeux collectivités territoriales ». Dès lors «en créant deux nouvelles collectivités territoriales dénommées «Gouvernorat du Grand Alger» et «Arrondissement urbain» et en leur fixant des règles spécifiques d’organisation, de fonctionnement et d’action, le législateur a méconnu les dispositions de la Constitution, notamment ses articles 15 (alinéa 1er), 18 (alinéa 2), 78 -9, 79 ( alinéa 1er) et 101 ( alinéa 2)». Le conseil constitutionnelle présidé à l’époque par Saïd Bouchaïr déclarait inconstitutionnelle l’ordonnance 97-15 du 31 mai 1997 qui a créée deux collectivités territoriales en l’occurrence «le Gouvernorat du Grand Alger» et «l’arrondissement urbain».

La vraie question

Une nouvelle ordonnance, la 2000-01 du 1er mars 2000, viendra remettre de l’ordre dans l’organisation d’Alger. On notera que dans les deux cas ce sont des ordonnances qui ont déterminé le sort de la capitale passant de super wilaya à wilaya tout court. Dans ce cas bien évidemment pas débat public, notamment au niveau du parlement, pas de polémique non plus et la faculté d’aller vite au risque de confondre célérité et précipitation.
Si on a voulu mettre en évidence au moment de la promulgation de l’ordonnance mettant en application la décision du conseil constitutionnel une volonté de main mise administrative sur l’ensemble du pays, on avait omis de dire que la promotion d’Alger au rang de Gouvernorat avait bénéficié des mêmes avantages, même si effectivement en mai 1997, l’Algérie peinait à réhabiliter ses institutions élues.
Dans le même temps, cette propension à poser la problématique et la gestion de la capitale même au niveau institutionnel et juridique ne renseigne t elle pas sur la difficulté insurmontable à donner un visage de respectabilité et de belle vitrine du pays à la capitale.
Peut être que le Gouvernorat posait un problème légale. Celui-ci n’est pas insurmontable si tant est que l’on ait tiré les leçons de cette expérience et que l’on ait jugé utile la mise en place d’un statut particulier pour Alger ou les mégapoles algériennes (actuelles ou futures) même si cela, il faut bien le souligner, doit passer par une révision constitutionnelle.
Mais on notera que rien n’est facile lorsqu’il s’agit de gérer la capitale. Avant la saisine du conseil constitutionnel, le président Bouteflika dans une interview accordée à une chaîne de télévision arabe soulignait que le gouvernorat était « un Etat dans l’Etat ». Une aberration en Algérie où la doctrine veut apparemment la primauté de l’Etat jacobin.
Dans le même temps nous sommes bien obligés de reconnaître que l’inauguration récente par le président Bouteflika d’un grand nombre d’ouvrages et de réalisations à Alger renvoi en permanence à cette embarras à mettre en place les choses à Alger lorsqu’elles ne sont pas décidé très haut. Certes, sans s’en remettre forcément la volonté divine, il est claire qu’être maire ou wali à Alger n’a rien d’une mince affaire. Le statut de Gouvernorat, même s’il avait péché par un excès d’orgueil, avait eu en tout les cas le mérite de poser la vrai question à propos de la capitale Effectivement, à ce jour les citoyens se demandent qui gère Alger ? Be devraient ils pas plutôt se demander qui peut gérer Alger ?
Amine Esseghir

Publié in Les Débats du 12 au 18 Avril 2006

lundi 18 octobre 2010


Le blues des campagnes
Il y eut la Gasba des chioukh et des chikhates, la trompette de Bellemou et aujourd'hui une forme renouvelée de ces chants des prairies et des campagnes profondes.Un chant qui n'est reconnu que par ceux qui ont su l'écouter. Certes, nous sommes loin de la grande poésie classique du Melhoun ou du Haouzi, mais les textes sont d'une extraordinaire actualité et certainement fruit d'une évidente observation sociale et culturelle qui aura manqué à pas mal d'intellectuels. A écouter...

A la recherche de la scène musicale underground algérienne
Le blues des campagnes


Si nous admettons qu'une scène musicale underground algérienne existe, il faut bien se rendre à l'évidence : celle-ci ne doit être recherchée ni dans les genres trash metal, techno ou autres genres marginaux occidentaux. Il faut la chercher dans les mélopées paysannes de gasba incertaines.

Par Amine Esseghir
A l’image du raï des années 70 et 80, le genre gasba (qui en fait est un amalgame de genres musicaux qui utilisent l’instrument, el gasba, la flûte de roseau) a conquis sa propre scène. Une scène marginale, autant par ses réseaux que par son public, serions-nous tentés de dire. Dans un pays musulman, engoncé dans un conservatisme qui tient la société à l’étroit, les chanteurs, les poètes et les musiciens louangent l’alcool, les amours clandestines et parfois les drogues dites douces. De fait, à cause de leurs paroles et des idées qu’ils sont censés véhiculer, ce genre s’exclut de la scène officielle. Mais on comprend aussi que ces artistes, qui chantent et créent, se sont dotés de leur propre scène, de leurs propres relais et ainsi vivent de leur art parfois mieux que les artistes reconnus par les scènes officielles.
Non dénués de solidarité, à chaque rechqa (moment de l’annonce des dédicaces et des sommes allouées par les spectateurs pour ce faire) on entend lors de leurs tours de chant « fi khater untel ettaxieur, rabbi y sellek srahou » (je dédie la chanson à untel le chauffeur de taxi, puisse Dieu le libérer, en fait le bonhomme est en taule). Ce genre de dédicaces, loin de constituer un choc pour les spectateurs auditeurs, révèle l’identité des présents. La prison, comme la déchéance, font partie de leur quotidien. On pourrait supposer un contexte de profonde remise en question de l’ordre établi (on tombe amoureux d’une danseuse de cabaret dans les chansons, cela ne pose pas de problèmes) certes de manière maladroite et vantant l’illégalité de ceux absents condamnés et sujets des pensées des présents. Mais faute d’un discours de soutien clair et sans ambigüité, il n’en est rien. Les chanson restent dans les cabarets et dans les mémoires enivrées des auditeurs. Scène undergournd qui n’a pas ses radios libres, ni ses revues ni ses publications spécialisées, mais qui a ses CD.
Les chanteurs éditent et se font écouter. Dans des pochettes mal faites, mal imprimées, les supports numériques (parfois en MP3 pour contenir dix ou quinze albums à la fois) font partie des discothèques de routiers, de chauffeurs de taxi au long cours, de militaires ou de maçons qui errent de chantier en chantier. On trouve aussi quelques intellectuels ou des gens propres sur eux qui raffolent aussi de ce genre musical. La gasba fédère, comme a fédéré le raï en son temps. Genre ancré dans son époque, la gasba a aussi connu l’espace cybernétique. Sur les sites internet aussi célèbres que youtube ou dailymotion, on retrouve ces chanteurs d’un genre particulier, on les retrouve aussi sur des sites dédiés à la musique algérienne, tel dzmusique. Bien entendu, point de label indépendant, mais seulement une scène, discrète, constituée d’abord des malahi, ces cabarets qui sentent le souffre qui ont fleuri dans les années 90.
Le bouche à oreille faisant le reste, des cheikh Mamou, cheikh Cha’ib, cheikh Cherif Ould Saber, Djilali Tiarti, Cheikha Sonia ou Cheikh Amer El Berrouaghi font le plein et animent des scènes qui le leur rendent bien.
Cheikha Djenia
Elle avait marqué son temps dans les années 90. Elle est morte à 50 ans, dans un accident de voiture, en 2005. Elle avait eu l’heur de sortir des bas-fonds et de se faire connaître médiatiquement. Ses chansons ont brisé le silence autour des difficultés des femmes vivant dans les régions rurales. Elle avait marqué son auditoire avec Kayen rabi, même si elle ne se gênait pas pour parler d’alcool et d’amours clandestines, sujets de prédilection du genre. Diva de l’underground algérien ? Difficile à dire, mais il reste que la chanteuse qui a évolué dans le milieu interlope du raï trab (le raï des origines, le raï des campagnes) elle a gagné ses titres de noblesse, devenant le sujet d’un article d’une journaliste suisse tout en s’imposant sur une scène raï européenne. Comme quoi, il faut d’abord gagner sa notoriété outre-méditerranée, pour gagner en estime chez soi.

Textes choisis
Bien entendu, aucune traduction aussi fine soit-elle ne peut rendre «la dimension poétique de ces chansons».

Cheikha Sonia chante seule cette douce mélopée. Des paroles un peu décousues mais on serait presque entrain d’écouter de la variété ordinaire.

Ouled bladi zaynine ou khir men el gaouriYal ezzine bladiLa ilha illa allah rahi katbaYa ghzal Reghaia ma neddikchi
Les fils de mon pays sont plus beaux que les européens
Vive la beauté de mon paysIl n y a de Dieu que Dieu, c’est le destinBeauté de Reghaia, je ne te prendrai pas pour époux

Avec Amer El Berrouagui, une chanson en duo «très branchée»
Lui : Maglou’a bippi ou a’awdiouel rousardje ana nkhalsouHadi hiya a’ouaydimdari bi djibi nfelsou
Elle : Mellit men flexage lgit rouhi ghaltaKi nahderlek a’la zwedj tsabbarni bkarta.

Folle bippe-moi encore encoreLa carte de recharge c’est moi qui te l’offreC’est mon habitudeDe me ruiner
J’en ai marre du rechargement électronique
quand je te parle de mariage
m‘offres une carte de recharge téléphonique





Cheikha Sonia Amer el Berrouagui Carta

Amer El Berrouagui souffre parfois. Il chante et explique sa déchéance.
El kes ou had ettofla tawou’niMa khellaounich nsod lel qablaAh Rabah heraizy khouya melhoub rani a’maKoul youm el birra ou nzid el qofla

L’alcool et cette fille m’ont asserviIls ne m’ont pas laissé voir DieuMon confident Rabah, mon frère, par l’amour je suis devenu aveugleTous les jours la bière et «les boutons» (allusion aux amphétamines)
D’autres succès à inscrire au palmarès du duo infernal Amer el Berrouagui et cheikha Sonia comme «Chrab errouchi» vantant les souvenirs des bacchanales clandestines sur des rochers, loin des yeux des curieux.


Cheikh Mamou qui sévit dans le genre depuis plus de dix ans, a aussi des succès actuels comme :
Koul youm ta’yetli ou ma a’reft chkouneZadet galetli ndirou l’amour fettilifoune
Elle m’appelle tous les jours et je ne sais pas qui est- ceelle me dit encore on fait l’amour au téléphone
Un des grands succès 2008 de Cheikh Mamou, en duo avec Cheikh Chai’b, une chanson drôle El gra’a ouel gara’a darou l’amour fezra’ (le chauve et la chauve ont fait l’amour dans les champs) ou le comique le dispute à un sens particulier de la gestion des urgences et une description drôle des scènes bucoliques.
El gra’a ouel gara’a darou l’amour fezra’Yaou lahsida gdatSadjra ma bqatChaalet ferrai’ ou smah fel ghnem Le chauve et la chauve ont fait l’amour dans les champsLa récolte a flambéAucun arbre n’est resté deboutLe berger a pris feuEt a abandonné le troupeau
Cheikh Cha’ib lui a marqué son public avec «chrab lahsida», la beuverie dans les champs de blé, un texte dont on retiendra quelques fragments.
Chrab lahsidaYa rih ouel mauvi tempsOuenti khabta Chrab lahsidaNetabou’ el maydaSaqsou laaridaYa ouine bayta Chrab lahsidaEnnas tesker nechouahOu ntiya zaafa Boire dans les champsLe vent et le mauvais tempset toi saoule Boire dans les champsOn poussera la table basseDemandez à la grosseOù est-ce qu’elle a passé la nuit Boire dans les champsLes gens se saoulent par plaisirEt toi de colère


Mamou et Cha’ib ont également laissé dans le genre Staïfi pour exprimer son amour pour une danseuse. Nezdam lel barA’la djal ouelfi ndir batoireManich haggarA’la djalak nouelli clochard Nechroub essem neztalOua rouge ou les goutteLel bar nezdam bechafraya loukan nmouta Je vais foncer au barPour mon amour je vais en faire un abattoirJe ne suis pas un mauvais garçonMais pour toi je deviens clochard Je bois du poison, je me shooteJe prend du vin rouge et des gouttesAvec une feuille de boucher je fonce au barMême si je dois y laisser ma vie
In Les Débats du 21-27 octobre 2009

lundi 29 mars 2010

L'épopée de la bataille de Timimoun

Mon premier documentaire pour la télévision
Tourné en octobre 2009, il a été diffusé en décembre 2009. D'une durée 57 minutes, il a été réalisé en trois versions (arabe, français et berbère) voici un court extrait de la version en français.

Lire aussi...

Le 15 octobre 1957 des méharistes désertent dans le sud algérien et se retrouvent face aux terribles paras de Bigeard dans une des bataille les plus importante durant la guerre de libération en Algérie. Ce documentaire raconte cette épopée avec les témoins Algériens et Français de cet événement qui en son temps avait suscité l'intérêt du monde entier. La question du sud algérien s'est posée alors réellement comme enjeu politique alors que l'indépendance de l'Algérie n'était pas à l'ordre du jour.



lundi 15 mars 2010

L’Algérie république des zaouïas et des tribus


Baya Gacemi brosse d’abord le tableau des réseaux et détermine également leur nature, les zaouïas, les tribus, les associations, la famille révolutionnaire, le Malg et les services secrets (elle aurait pu aussi citer les comités de supporters et les syndicats autonomes…), avant de donner la parole à l’historien Daho Djerbal, à l’avocat Nacer Eddine Lazzar et au sociologue Tahar Houcine.

Pour elle, la renaissance des zaouïas qui ont soutenu fortement le président Bouteflika n’est due qu’à «l'œuvre des différents pouvoirs qui se sont succédés depuis 1989».

Dans la même veine, elle précise que les hommes politiques en Algérie attachent à faire valoir leurs tribus ou les tribus qui les soutiennent et le président Bouteflika «qui ne se réclame d'aucune attache tribale a ressenti, en 1999 et en 2004, le besoin de s'adosser à un fief. Il s'est alors tourné vers les zaouïas, dont il savait qu'elles étaient très fortement liées aux tribus, sans toutefois commettre l'erreur d'en favoriser une plus que d'autres».
Quant aux tribus, leur influence, même du temps du parti unique, a également joué dans les découpages administratifs.

La société civile qui n’existe pas autrement aux yeux de Baya Gacemi, lorsqu’elle est visible dans des regroupements comme les comités de quartiers, ce sont «les yeux et les oreilles des autorités», selon une étude faite en 2000 (elle ne cite pas ses sources à ce propos). Quant aux associations, elles naissent «avec, à leur tête, des gens habituellement éloignés de la vie associative, mais très motivés par les bénéfices qu'ils peuvent tirer de la sollicitude du pouvoir à leur égard».

Pour elle, le comité national pour le soutien au programme de Bouteflika, regroupement d’associations diverses, n’a été mis en place par ses membres que «dans l'espoir d'un renvoi d'ascenseur à l'occasion des prochaines élections législatives (…) afin qu'un certain nombre des leurs soient en position éligible sur les listes…»

Concernant la famille révolutionnaire, Baya Gacemi cite l’historien Mohammed Harbi. A propos de l'organisation des moudjahidine, pour lui cette organisation «n'existe que par rapport à l'Etat, pas par sa capacité à mobiliser. Auparavant, elle dépendait du FLN, lequel n'était lui-même qu'un paravent étatique. Nous sommes en train d'assister à une décompression autoritaire».

Pour les services secrets, Baya Gacemi rappelle la puissante et redoutée sécurité militaire et elle rapporte les propos d’un officier à la retraite qui soutient que la réputation des services secrets est surfaite. «Le président Bouteflika joue beaucoup sur les divisions entre le DRS et l'état-major. Il veut démilitariser le système politique, donc «civiliser» les services. Or cette démilitarisation est conforme aux souhaits de la nouvelle garde de l'armée. Le DRS se sentait fort de sa connexion avec elle. S'il perd ce lien, il perd toute sa force», indique cet officier sous le couvert de l’anonymat.
Pour l’historien Daho Djerbal, l’Etat «préfère les relais clientélistes à une société civile libérée, qui serait le moteur du développement ». Pour les associations qui manifestent une volonté d'indépendance, Djerbal indique qu’on leur fabrique des problèmes internes : «Ou bien on essaie de les corrompre, ou encore on les noie au milieu d'une multitude d'autres associations qui ont le même objet, tout cela laissant une impression de liberté de façade.»

Pour cet historien «les nouveaux mouvements culturels et identitaires s'expriment tous par l'émeute», celle-ci étant une forme de modernisation de la société, «car elle prouve que, même réprimée, elle garde tous son ressort».

Pour l’avocat Nacer Eddine Lazzar, les réseaux d’affaires sont plus puissants que les tribus, zaouïas et associations. Il indique que «l'interdiction d'importer des alcools (adoptée par la loi de finances 2004) a été décidée pour plaire aux lobbys des producteurs d'alcool algériens, lesquels ont des soutiens à la Banque d'Algérie». Il évoque aussi le rachat des créances douteuses d’entreprises privées qui ont profité de la manne des crédits accordés par les banques publiques sans avoir à les rembourser, mais sans citer d’exemples précis. «Maintenant, on parle d'amnistie générale. Eh bien, l'amnistie va inclure ces gens. Sauf que cette amnistie générale, c'est une hérésie, car elle met de côté le droit pénal», conclu Lazzar.

Pour le sociologue Tahar Houcine «les tribus constituent des réseaux dormants que l'on peut ranimer à n'importe quel moment. C'est ce qui explique que, lors de chaque échéance électorale, les candidats, quelle que soit leur idéologie, se tournent vers leur tribu d'origine». Par ailleurs, il indique que l’implantation de cités universitaires et des aéroports dans les régions éloignées favoriseraient les déplacements et l’instruction, ce qui casserait cette influence des tribus et permettrait une plus grande démocratisation.
A propos de la censure, le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia avait, dans une conférence de presse sur le bilan du gouvernement, indiqué que l’Algérie n’avait pas de systèmes de censure alors qu’on lui avait cité des cas d’interdiction d’entrée de certaines publications étrangères répétées ces derniers temps.

Synthèse de Amine Esseghir
In La Nouvelle République, mars 2005.

vendredi 22 janvier 2010

Racisme anti-africain à la télé Algérienne
Le chaudron de l'ignorance

Un clip musical, passé quasiment inaperçue dans le fatras des clips de soutiens à l'équipe nationale, ne fait que reprendre à son compte un des pires clichés raciste anti-noir.


Une scène de jungle tropicale qui rappelle sous certains aspects le jardin d'essai du Hamma, celui là même qui a accueilli en d'autres temps, cette autre imposture intellectuelle de son temps, les scènes du film Tarzan avec Johnny Wesmuller (1).
En arrière plan des « blancs », des supporters Algériens, en témoignent leur accoutrement. En premier plan des noirs dont un devant un chaudron fumant. Les supporters blancs sont attachés à un arbre comme dans la plus ridicule des bandes dessinées qui caricature l'explorateur blanc capturé par des sauvages Africains.

Image du clip de Amine Titi

On comprend vite qu'il s'agit bien de cannibalisme. C'est ce qui est présenté dans ce qui s'apparente à un clip musical, lorsque une des « victimes » dit « ya Amine rak rouht chtitha Titi ». Le chanteur, Amine Titi n'a rien trouvé de mieux pour illustrer son clip sur l'équipe nationale en Afrique, pour la CAN et la coupe du monde, que de recourir au plus stupide des clichés racistes, les Africains cannibales. Pour l'histoire, si tant est que l'on puisse appeler cela une histoire, un enfant découvre un passeport dans les affaires des « explorateurs-supporters » et dit République Algérienne. C'est comme cela que les supporters seront sauvés d'une chtitha qui se déroule dans les cerveaux lourdauds des concepteurs du clips avant qu'elle n'aie lieu supposément dans le chaudron mis en scène. Les rythmes Africains de « olé ola na'aoudoha fi Angola » (olé ola on la refait en Angola ) c'est le titre de la chanson et même la participation d'un chanteur Africain (apparemment Kabila Congo ?) n'expieront pas la faute des concepteurs du clip.
Mais plus grave encore, c'est que ce cliché raciste est diffusé par la télévision publique Algérienne sans faire sourciller personne, notamment les responsables de la programmation de la télévision (2) prompt à censurer des images bien plus anodines.
Ce même clip, ce même concept, diffusé ailleurs aurait soulevé un tollé. Il est d'autant plus intolérable de le diffuser en Algérie alors que la chanson dit « Mandela nous arrivons ». Mais qui est Mandela ? Les Algériens ne l'ignorent pas. Un des symboles de la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud n'en est pas moins un symbole de lutte contre le racisme et le racisme ce n'est pas seulement une ségrégation entre gens de couleurs différentes. Certainement que la lutte contre l'idée raciste elle même commence par la lutte contre les clichés.
Nous Algériens sommes-nous coulé depuis si longtemps dans le béton de notre ignorance que nous ne pouvons plus voir ce que nous commettons comme injures à l'humanité ?
Les clichés sur les races c'est ce qu'il y a de pire. Le noir c'est le sauvage et le cannibale, l'arabe c'est le sale et le fainéant, le juif c'est le félon et le détenteur de la richesse. Cela a cautionné l'esclavage et les conquêtes dites civilisatrices en Afrique, cela a permis la colonisation en Algérie et les massacres qui l'ont accompagné et l'extermination de millions de juifs au milieu du XXe du siècle.
Amine Esseghir


1- film datant de 1932

2- Vu en soirée sur A3 mercredi 13 janvier 2010


Cannibalisme
L'Africain noir cannibale est certainement la pire des accusations que l'humanité ait portée à une partie d'elle même quand cette pratique est probablement une des plus commune à tous le genre humain. En Europe on parle de l'homo antecessor – espèce précédent l'homme de Néanderthal - qui il ya 800 000 ans pratiquait l'anthropophagie, les preuves ont été trouvées sur les restes d'ossements humains trouvés en Espagne. Mais si 800 000 peut paraître éloigné, la culture Européenne dans l'antiquité avait mis souvent des actes d'anthropophagie devenus des mythes. Cronos mangeant ses enfants, le cyclope Polyphème qui voulait dévorer Ulysse et ses compagnons ou encore le peuple anthropophage des Lestrygons également dans l'Odyssée d'Homer. Selon Hérodote, historien du Ve sicèle avant JC. plusieurs peuples (les Massagètes, les Padéens, les Issédons, les Scythes ou encore les Thraces), avaient dans leurs traditions funéraires des rites nécrophages ou bien sacrifiaient leurs vieillards et leurs malades avant de les faire cuire pour les manger. Si nous sommes dans le mythes, pour des anthropologues comme Robert Graves, ces mythes n'émanent pas du néant et tireraient leur origine des pratiques anciennes des peuples anthropophages européens contre qui les grecs ont du se battre. Au Moyen Age le cas de Maarat Enou'man est illustratif de la pratique cannibale en tant qu'acte de guerre. Cette ville de Syrie se trouvait sur le chemin des croisés qui allaient en Palestine. En 1098 après le siège de la ville les croisés ont pu entrer à Maarat Enou'man. De nombreux historiens se fondant sur des sources concordantes (chrétiennes et musulmanes) ont établi que les croisés se sont nourris de chaire humaine. Un chroniqueur Raoul Caen écrit « À Maarrat, les nôtres faisaient bouillir des païens adultes dans des marmites, ils fixaient les enfants sur des broches et les dévoraient grillés ». De toute évidence les pratiques cannibale ont existé sur toute la planète qu'elles aient été exprimé en tant que rite religieux ou comme acte de survie ou expression de la haine. A.E.
Les Débats du 20 au 27 janvier 2010 (édition en kiosque)



dimanche 17 janvier 2010


Hystérie sécuritaire après un attentat raté

Pourquoi pas un scanner pour connaître vos pensées les plus intimes ?


Un déploiement de scanners comme un déploiement de force. L'objectif : contrer les tentatives d'attaques terroristes contre les avions au lendemain de l'attentat manqué du 25 décembre dernier. Un des moyens préconisé, un scanner qui déshabille les passagers.



Ce n’est pas un gadget pour pervers. Ce n’est pas des lunettes à rayon X comme on en vendait dans les années 70. Il s’agit d’un scanner qui interprète la réflexion d’ondes millimétriques. Cette technologie permet de voir si sous les vêtements se trouvent des dispositifs particuliers ou des armes. Une incursion dans l’intimité que permet la technologie au nom de la préservation de la sécurité. Une incursion dans l’intimité avant des actes supposés sur des présumés coupables. Et si pour plus d’efficacité, on essayait de percevoir l’intimité des pensées et de scruter les cerveaux avant que les gens ne passent aux actes ?

Cela n’a rien de la science-fiction. Des chercheurs britanniques ont indiqué dans un article publié au mois de mars dernier que l’on pouvait déduire ce que des individus voyaient dans un environnement virtuel en analysant l’activité de leur cerveau. Il ne s’agit pas de savoir si le cerveau est en activité, cela on sait le faire depuis longtemps, mais bien de «voir» ce que des gens voient dans leur cerveau et «lire leurs pensées» grâce à des techniques d’imagerie médicale.

L’étude concernait l’hippocampe, cette petite zone du cerveau située derrière les tempes. Théoriquement, on le sait depuis longtemps aussi, l’hippocampe collabore dans le rappel des souvenirs et dans la prévision et la visualisation d’événements futurs. Il est aussi partie prenante dans la représentation et l’orientation dans l’espace qui entoure l’individu.

Les chercheurs du Centre Wellcome Trust de neuro-imagerie (University College de Londres), c’est là où cela s’est passé, ont examiné l’activité des neurones de l’hippocampe en mettant des sujets dans des réalités virtuelles où ils devaient «se déplacer». En explorant cet espace prédéfini, les scientifiques, à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique à haute résolution, analysaient le cerveau des sujets, et plus attentivement leur hippocampe.

Quand la médecine s’en mêle

La technique d’imagerie par résonance magnétique est connue dans le monde médical. Elle permet de mesurer les changements du flux sanguin dans le cerveau et permet ainsi une évaluation de l’activité des cellules nerveuses.

En s’intéressant singulièrement aux «cellules de lieu» de l’hippocampe, ces neurones spécialisés dans la détection de ce qui environne les individus et à l’aide d’un programme informatique, les données sur l’activation de l’hippocampe qui ont été ainsi recueillies ont été ensuite analysées, en rapport avec les lieux visités par les sujets.

En regardant les données du cerveau, les chercheurs ont pu prédire exactement où les sujets étaient situés dans l’environnement virtuel. Les scientifiques ont pu «lire» la mémoire spatiale des sujets.

Cette découverte a permis de déduire des informations précises à partir de l’activité cérébrale indiquant que les informations spatiales sont archivées dans l’hippocampe de manière déterminée, et qu’il existe un modèle dans le codage des souvenirs.

Un codage de l’information dans l’hippocampe, c’est cela la véritable découverte. On indique toutefois que cette étude ouvre des voies intéressantes dans la compréhension des maladies neurodégénératives telles que l’Alzheimer. On souligne aussi que c’est une avancée, certes modeste, mais réelle dans la lecture de l’esprit, puisqu’en observant seulement l’activité des neurones, les chercheurs ont été capables de dire à quoi pense le sujet.

C’est probablement un aspect que ne manqueront pas de voir les développeurs de systèmes de sécurité. Les résonnances des ondes magnétiques, les rayons X, étaient également, dans un premier temps, utilisés à des fins d’imagerie médicale et étaient censées apporter du bonheur à l’humanité.

Evolution régressive

L’évolution des technologies a permis de développer des moyens pour mieux appréhender les menaces et les questions de sécurité. Dans ce domaine, nous sommes allés très loin même si on peut comprendre que le bonheur de l’humanité tient aussi à la maîtrise des menaces qui planent sur les têtes des humains.

On peut aussi digresser longtemps sur les moyens que la technologie a permis de développer pour assurer la sécurité des uns tout en menaçant celle des autres.

Une arme de dissuasion nucléaire est aussi une menace nucléaire, faut-il le préciser. Sans s’égarer, on peut toutefois voir clairement la dérive de ces moyens développés pour justement protéger les individus et même préserver leur liberté tout en ayant accès à leur intimité – pour le moment uniquement, mais on voit bien que les choses s’accélèrent – sans que l’on ne voit des intellectuels et des leaders d’opinion hurler au scandale.

Aujourd’hui, les remises en question sont bien timides. Le débat avait certes déjà eu lieu en Europe en 2008. On prévoyait déjà l’installation de scanners corporels à titre expérimental. Cette fois, il semble qu’il y a urgence à les installer dans le plus grand nombre d’aéroports européens – aux Etats-Unis c’est déjà fait – en attendant de voir cette condition posée par les organisations de l’aviation civile. Cela porte un risque, celui de voir les avions de certaines compagnies interdits d’atterrissage dans certains aéroports faute d’avoir installé des scanners corporels aux aéroports de départ. Verra-t-on des fondamentalistes refuser de prendre l’avion pour ne pas avoir à exhiber leur «a’oura» à des agents de l’ordre ? Ou bien est ce que «al hadja» la nécessité, ce laisser-passer dogmatique, va permettre de voir ces scanners s’installer partout ? En Europe, un certain nombre d’organisations, considérées pour certaines comme des réunions de hurluberlus des droits de l’homme, ont commencé à lancer des pétitions indiquant que ces scanners corporels vont grever les budgets publics tout en soulignant que l’efficacité de ces appareils n’est pas encore démontrée. Pour eu, il s’agit d’une dévrive sécuritaire du même acabit que celle observée avec la vidéosurveillance généralisée ou le stockage de données privées. En fait, il s’agit de mettre dans la balance l’impératif sécuritaire d’une part et la dignité, l’intégrité physique ainsi que le respect de la vie privée de l’autre. Cela fait pencher la raison d’un côté évidemment, mais est-ce suffisant ? On dénonce également le peu d’informations sur l’impact sur la santé humaine des radiations émises par les scanners. Dans le même temps, ces appels sont bien timides et on se rend bien compte que ce sont les gouvernements et les élus dans les démocraties qui doivent s’opposer à l’installation de ces scanners. En attendant, même le débat autour de ces appareils n’a pas encore commencé.

Et puis, on le sait bien, lorsqu’on se met à parler de sécurité, la place du débat devient plutôt congrue. Et comme c’est pour le bien de tous… alors, pourquoi débattre.

Amine Esseghir


Pour plus de détails sur les études sur l’hippocampe, Demis Hassabis et ses collaborateurs détaillent leurs travaux dans l’article «Decoding Neuronal Ensembles in the Human Hippocampus», publié le 12 mars 2009 dans la revue Current Biology. http://www.cell.com/current-biology/abstract/S0960-9822(09)00741-6


Les Débats du 13 au 19 janvier 2010

vendredi 1 janvier 2010

Pour se souvenir de Ghaza

Il y a un an des Palestiniens se faisaient tuer en direct. Vingt deux jours plus tard on entendait un président Egyptien, dans une mauvaise comédie de café théâtre, appler les Israéliens à cesser immédiatement leur agression. Immédiatement, après 22 jours de martyr et 1300 morts dont la moitié n'étaient que des enfants.

Cessez-le-feu à Ghaza

«Fawran», la mauvaise comédie égyptienne

La fin provisoire d’un massacre de dizaines de Palestiniens de la bande de Ghaza, retransmise quasiment en direct sur quelques télévisions arabes, aura pris fin comme dans une pièce de théâtre macabre. Il aurait fallu, semble-t-il, un simple discours et un coup de téléphone pour en finir avec le cauchemar.

Le président égyptien Hosni Moubarak a appelé Israël samedi, soit 22 jours depuis le début de l’agression israélienne à cesser «fawran» (immédiatement) ses opérations militaires et à retirer ses troupes de la bande de Ghaza. «J'exige d'Israël aujourd'hui qu'il arrête immédiatement ses opérations militaires. J'exige de ses dirigeants un cessez-le-feu sans conditions et j'exige un retrait total des troupes israéliennes de la bande de Ghaza», a tonné un raïs visiblement irrité. Aussi simplement et en des termes clairs, l’appel égyptien aurait été immédiatement entendu par le Premier ministre israélien Ehud Olmert qui a annoncé le cessez-le-feu unilatéral.

Question à 1 300 morts : si c’était aussi simple que cela, pourquoi n’y a-t-on pas pensé tout de suite après les premiers bombardements ? Pourquoi a-t-on attendu 22 jours, 1 300 morts dont près de 500 enfants, des milliers de blessés, des villes entièrement dévastées, pour arrêter le massacre ?

La réaction égyptienne intervenait en fait après la signature vendredi sans l’Egypte, principal concerné, d’un accord entre la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice et la chef de la diplomatie israélienne Tzipi Livni, devant permettre la lutte contre la contrebande d'armes vers la bande de Ghaza. Des armes qui viendraient à travers les tunnels qui relient Ghaza à Rafah en Egypte. Un accord dénoncé immédiatement par Ahmed Abou El Gheit, ministre égyptien des Affaires étrangères, indiquant que l’accord n’engage que ses signataires. Colère légitime des Egyptiens qui jusque-là ont joué les intermédiaires compréhensifs, facilitant l’action d’Israël, tout en offrant, il est vrai, une porte de sortie et un moyen de communiquer à un mouvement Hamas isolé. Pourtant, le pouvoir égyptien était remercié de la plus vile manière, en le considérant comme quantité négligeable et sur le territoire duquel on se permet d’échafauder des plans d’intervention militaires, écornant ainsi sérieusement sa souveraineté.

Preuve des raisons de la colère du président égyptien : «L'Egypte n'acceptera jamais aucune présence étrangère d'observateurs sur son territoire. Je dis que c'est une ligne rouge que je n'ai pas permis, et ne permettrai pas qu'on franchisse». Là, ce n’est même plus la ligne rouge qui est franchie mais quasiment un acte de mépris outrageant.

Mais au moment où se met en colère le raïs, le mal est déjà fait. Les Palestiniens ne cessent de compter leurs morts, notamment les enfants. Ils constatent que l’armée israélienne s’est permis l’usage d’armes inconnues jusque-là qui aveuglent les enfants. Le plan de cessez-le-feu égyptien provisoire de dix jours, le temps de négocier les dispositifs de sécurité aux points de passage de la bande de Ghaza destinés à empêcher l'entrée d'armes dans le territoire n’est même plus d’actualité. Les Israéliens avec qui il coopère viennent de lui faire un enfant dans le dos, considérant le territoire égyptien terrain d’opérations où ils peuvent se déployer avec les Américains. Faisant fi des déclarations égyptiennes qui indiquaient que les armes ne transitaient pas par l’Egypte, mais arrivaient plutôt aux militants du Hamas par la mer.

Quel discrédit, quel affront alors que les Egyptiens se sont démenés comme de beaux diables pour aider les Israéliens à maintenir leur blocus sur Ghaza, ont tout fait pour faire échouer le Sommet arabe de Doha, ont fermé les passages de Rafah, étouffant l’autorité du Hamas et les Palestiniens avec, ont interdit l’entrée des aides humanitaires qataries à Ghaza, ils se voient récompensés par le déni de souveraineté sur leur propre territoire.

Quel crédit donner alors au coup de colère du président Moubarak ? Il a arrêté le massacre quand des voix se sont élevées au sein même d’Israël pour dire qu’il fallait s’arrêter. Il est allé contre l’opinion et la colère de la rue en Egypte quand les Egyptiens exprimaient eux aussi leur colère et leur ressentiment contre ce qui se passait à Ghaza. Il est intervenu quand les observateurs les moins avertis prédisaient que l’agression israélienne prendrait fin quelques heures avant la prise de fonction du président Obama à Washington.

Exiger d’Israël d’arrêter «fawran» ses opérations militaires à Ghaza était-il la meilleure des choses à dire à ce moment-là ? Certes, Ehud Olmert a annoncé quelques heures plus tard le cessez-le-feu unilatéral israélien, mais personne n’est dupe, pas même les hôtes illustres de l’Egypte à Charm El Cheikh.

Dernier tableau

La réponse des chefs d’Etat européens à l’invitation du président égyptien ne s’est pas fait attendre. Sans autre souci pour les moyens logistiques nécessaires à la tenue d’un tel sommet, sans prendre le moindre risque dans une zone qui a connu déjà un attentat meurtrier il y a à peine trois ans, le sommet de Charm El Cheikh s’est ouvert, coprésidé par les présidents égyptien et français. Etait-ce la moindre des politesses de la part des alliés d’Israël de venir soutenir un chef d’Etat qui a été critiqué, houspillé ? Il est vrai que dans le lot des chefs d’Etat, le président turc Abdullah Gül était présent, il représente un pays qui reconnaît certes Israël, mais qui n’a cessé de condamner l’agression israélienne à Ghaza.

«L'Egypte a été critiquée mais a bien travaillé », a indiqué le président Sarkozy. Difficile de comprendre ce que veut dire le président français. Son propre ministre des Affaires étrangères s’était indigné en voyant Israël bombarder des hôpitaux, des écoles dépendant de l’ONU et un immeuble abritant des organes de presse. En quoi l’Egypte a bien travaillé alors ? En n’empêchant pas Israël de commettre son massacre de Rafah à huis clos ? En évitant la naissance d’un front du refus arabe face à l’agression israélienne ? En appelant après 22 jours à un cessez-le-feu immédiat ?

Si le chef d’Etat égyptien savait être aussi efficace et bien travailler, il aurait pu faire cesser le massacre à Ghaza dès le déclenchement de l’offensive israélienne barbare, voire l’empêcher, puisque programmée de longue date et l’Egypte en était avertie. Les parents des enfants palestiniens assassinés à Ghaza lui en auraient certainement aussi rendu grâce.

Amine Esseghir

Les Débats
du 21 au 27 janvier 2009

Rechercher dans ce blog