Hystérie sécuritaire après un attentat raté
Pourquoi pas un scanner pour connaître vos pensées les plus intimes ?
Un déploiement de scanners comme un déploiement de force. L'objectif : contrer les tentatives d'attaques terroristes contre les avions au lendemain de l'attentat manqué du 25 décembre dernier. Un des moyens préconisé, un scanner qui déshabille les passagers.
Ce n’est pas un gadget pour pervers. Ce n’est pas des lunettes à rayon X comme on en vendait dans les années 70. Il s’agit d’un scanner qui interprète la réflexion d’ondes millimétriques. Cette technologie permet de voir si sous les vêtements se trouvent des dispositifs particuliers ou des armes. Une incursion dans l’intimité que permet la technologie au nom de la préservation de la sécurité. Une incursion dans l’intimité avant des actes supposés sur des présumés coupables. Et si pour plus d’efficacité, on essayait de percevoir l’intimité des pensées et de scruter les cerveaux avant que les gens ne passent aux actes ?
Cela n’a rien de la science-fiction. Des chercheurs britanniques ont indiqué dans un article publié au mois de mars dernier que l’on pouvait déduire ce que des individus voyaient dans un environnement virtuel en analysant l’activité de leur cerveau. Il ne s’agit pas de savoir si le cerveau est en activité, cela on sait le faire depuis longtemps, mais bien de «voir» ce que des gens voient dans leur cerveau et «lire leurs pensées» grâce à des techniques d’imagerie médicale.
L’étude concernait l’hippocampe, cette petite zone du cerveau située derrière les tempes. Théoriquement, on le sait depuis longtemps aussi, l’hippocampe collabore dans le rappel des souvenirs et dans la prévision et la visualisation d’événements futurs. Il est aussi partie prenante dans la représentation et l’orientation dans l’espace qui entoure l’individu.
Les chercheurs du Centre Wellcome Trust de neuro-imagerie (University College de Londres), c’est là où cela s’est passé, ont examiné l’activité des neurones de l’hippocampe en mettant des sujets dans des réalités virtuelles où ils devaient «se déplacer». En explorant cet espace prédéfini, les scientifiques, à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique à haute résolution, analysaient le cerveau des sujets, et plus attentivement leur hippocampe.
Quand la médecine s’en mêle
La technique d’imagerie par résonance magnétique est connue dans le monde médical. Elle permet de mesurer les changements du flux sanguin dans le cerveau et permet ainsi une évaluation de l’activité des cellules nerveuses.
En s’intéressant singulièrement aux «cellules de lieu» de l’hippocampe, ces neurones spécialisés dans la détection de ce qui environne les individus et à l’aide d’un programme informatique, les données sur l’activation de l’hippocampe qui ont été ainsi recueillies ont été ensuite analysées, en rapport avec les lieux visités par les sujets.
En regardant les données du cerveau, les chercheurs ont pu prédire exactement où les sujets étaient situés dans l’environnement virtuel. Les scientifiques ont pu «lire» la mémoire spatiale des sujets.
Cette découverte a permis de déduire des informations précises à partir de l’activité cérébrale indiquant que les informations spatiales sont archivées dans l’hippocampe de manière déterminée, et qu’il existe un modèle dans le codage des souvenirs.
Un codage de l’information dans l’hippocampe, c’est cela la véritable découverte. On indique toutefois que cette étude ouvre des voies intéressantes dans la compréhension des maladies neurodégénératives telles que l’Alzheimer. On souligne aussi que c’est une avancée, certes modeste, mais réelle dans la lecture de l’esprit, puisqu’en observant seulement l’activité des neurones, les chercheurs ont été capables de dire à quoi pense le sujet.
C’est probablement un aspect que ne manqueront pas de voir les développeurs de systèmes de sécurité. Les résonnances des ondes magnétiques, les rayons X, étaient également, dans un premier temps, utilisés à des fins d’imagerie médicale et étaient censées apporter du bonheur à l’humanité.
Evolution régressive
L’évolution des technologies a permis de développer des moyens pour mieux appréhender les menaces et les questions de sécurité. Dans ce domaine, nous sommes allés très loin même si on peut comprendre que le bonheur de l’humanité tient aussi à la maîtrise des menaces qui planent sur les têtes des humains.
On peut aussi digresser longtemps sur les moyens que la technologie a permis de développer pour assurer la sécurité des uns tout en menaçant celle des autres.
Une arme de dissuasion nucléaire est aussi une menace nucléaire, faut-il le préciser. Sans s’égarer, on peut toutefois voir clairement la dérive de ces moyens développés pour justement protéger les individus et même préserver leur liberté tout en ayant accès à leur intimité – pour le moment uniquement, mais on voit bien que les choses s’accélèrent – sans que l’on ne voit des intellectuels et des leaders d’opinion hurler au scandale.
Aujourd’hui, les remises en question sont bien timides. Le débat avait certes déjà eu lieu en Europe en 2008. On prévoyait déjà l’installation de scanners corporels à titre expérimental. Cette fois, il semble qu’il y a urgence à les installer dans le plus grand nombre d’aéroports européens – aux Etats-Unis c’est déjà fait – en attendant de voir cette condition posée par les organisations de l’aviation civile. Cela porte un risque, celui de voir les avions de certaines compagnies interdits d’atterrissage dans certains aéroports faute d’avoir installé des scanners corporels aux aéroports de départ. Verra-t-on des fondamentalistes refuser de prendre l’avion pour ne pas avoir à exhiber leur «a’oura» à des agents de l’ordre ? Ou bien est ce que «al hadja» la nécessité, ce laisser-passer dogmatique, va permettre de voir ces scanners s’installer partout ? En Europe, un certain nombre d’organisations, considérées pour certaines comme des réunions de hurluberlus des droits de l’homme, ont commencé à lancer des pétitions indiquant que ces scanners corporels vont grever les budgets publics tout en soulignant que l’efficacité de ces appareils n’est pas encore démontrée. Pour eu, il s’agit d’une dévrive sécuritaire du même acabit que celle observée avec la vidéosurveillance généralisée ou le stockage de données privées. En fait, il s’agit de mettre dans la balance l’impératif sécuritaire d’une part et la dignité, l’intégrité physique ainsi que le respect de la vie privée de l’autre. Cela fait pencher la raison d’un côté évidemment, mais est-ce suffisant ? On dénonce également le peu d’informations sur l’impact sur la santé humaine des radiations émises par les scanners. Dans le même temps, ces appels sont bien timides et on se rend bien compte que ce sont les gouvernements et les élus dans les démocraties qui doivent s’opposer à l’installation de ces scanners. En attendant, même le débat autour de ces appareils n’a pas encore commencé.
Et puis, on le sait bien, lorsqu’on se met à parler de sécurité, la place du débat devient plutôt congrue. Et comme c’est pour le bien de tous… alors, pourquoi débattre.
Amine Esseghir
Pour plus de détails sur les études sur l’hippocampe, Demis Hassabis et ses collaborateurs détaillent leurs travaux dans l’article «Decoding Neuronal Ensembles in the Human Hippocampus», publié le 12 mars 2009 dans la revue Current Biology. http://www.cell.com/current-biology/abstract/S0960-9822(09)00741-6
Les Débats du 13 au 19 janvier 2010