Le blues des campagnes
Il y eut la Gasba des chioukh et des chikhates, la trompette de Bellemou et aujourd'hui une forme renouvelée de ces chants des prairies et des campagnes profondes.Un chant qui n'est reconnu que par ceux qui ont su l'écouter. Certes, nous sommes loin de la grande poésie classique du Melhoun ou du Haouzi, mais les textes sont d'une extraordinaire actualité et certainement fruit d'une évidente observation sociale et culturelle qui aura manqué à pas mal d'intellectuels. A écouter...
Il y eut la Gasba des chioukh et des chikhates, la trompette de Bellemou et aujourd'hui une forme renouvelée de ces chants des prairies et des campagnes profondes.Un chant qui n'est reconnu que par ceux qui ont su l'écouter. Certes, nous sommes loin de la grande poésie classique du Melhoun ou du Haouzi, mais les textes sont d'une extraordinaire actualité et certainement fruit d'une évidente observation sociale et culturelle qui aura manqué à pas mal d'intellectuels. A écouter...
A la recherche de la scène musicale underground algérienne
Le blues des campagnes
Si nous admettons qu'une scène musicale underground algérienne existe, il faut bien se rendre à l'évidence : celle-ci ne doit être recherchée ni dans les genres trash metal, techno ou autres genres marginaux occidentaux. Il faut la chercher dans les mélopées paysannes de gasba incertaines.
Par Amine Esseghir
A l’image du raï des années 70 et 80, le genre gasba (qui en fait est un amalgame de genres musicaux qui utilisent l’instrument, el gasba, la flûte de roseau) a conquis sa propre scène. Une scène marginale, autant par ses réseaux que par son public, serions-nous tentés de dire. Dans un pays musulman, engoncé dans un conservatisme qui tient la société à l’étroit, les chanteurs, les poètes et les musiciens louangent l’alcool, les amours clandestines et parfois les drogues dites douces. De fait, à cause de leurs paroles et des idées qu’ils sont censés véhiculer, ce genre s’exclut de la scène officielle. Mais on comprend aussi que ces artistes, qui chantent et créent, se sont dotés de leur propre scène, de leurs propres relais et ainsi vivent de leur art parfois mieux que les artistes reconnus par les scènes officielles.
Non dénués de solidarité, à chaque rechqa (moment de l’annonce des dédicaces et des sommes allouées par les spectateurs pour ce faire) on entend lors de leurs tours de chant « fi khater untel ettaxieur, rabbi y sellek srahou » (je dédie la chanson à untel le chauffeur de taxi, puisse Dieu le libérer, en fait le bonhomme est en taule). Ce genre de dédicaces, loin de constituer un choc pour les spectateurs auditeurs, révèle l’identité des présents. La prison, comme la déchéance, font partie de leur quotidien. On pourrait supposer un contexte de profonde remise en question de l’ordre établi (on tombe amoureux d’une danseuse de cabaret dans les chansons, cela ne pose pas de problèmes) certes de manière maladroite et vantant l’illégalité de ceux absents condamnés et sujets des pensées des présents. Mais faute d’un discours de soutien clair et sans ambigüité, il n’en est rien. Les chanson restent dans les cabarets et dans les mémoires enivrées des auditeurs. Scène undergournd qui n’a pas ses radios libres, ni ses revues ni ses publications spécialisées, mais qui a ses CD.
Les chanteurs éditent et se font écouter. Dans des pochettes mal faites, mal imprimées, les supports numériques (parfois en MP3 pour contenir dix ou quinze albums à la fois) font partie des discothèques de routiers, de chauffeurs de taxi au long cours, de militaires ou de maçons qui errent de chantier en chantier. On trouve aussi quelques intellectuels ou des gens propres sur eux qui raffolent aussi de ce genre musical. La gasba fédère, comme a fédéré le raï en son temps. Genre ancré dans son époque, la gasba a aussi connu l’espace cybernétique. Sur les sites internet aussi célèbres que youtube ou dailymotion, on retrouve ces chanteurs d’un genre particulier, on les retrouve aussi sur des sites dédiés à la musique algérienne, tel dzmusique. Bien entendu, point de label indépendant, mais seulement une scène, discrète, constituée d’abord des malahi, ces cabarets qui sentent le souffre qui ont fleuri dans les années 90.
Le bouche à oreille faisant le reste, des cheikh Mamou, cheikh Cha’ib, cheikh Cherif Ould Saber, Djilali Tiarti, Cheikha Sonia ou Cheikh Amer El Berrouaghi font le plein et animent des scènes qui le leur rendent bien.
Cheikha Djenia
Elle avait marqué son temps dans les années 90. Elle est morte à 50 ans, dans un accident de voiture, en 2005. Elle avait eu l’heur de sortir des bas-fonds et de se faire connaître médiatiquement. Ses chansons ont brisé le silence autour des difficultés des femmes vivant dans les régions rurales. Elle avait marqué son auditoire avec Kayen rabi, même si elle ne se gênait pas pour parler d’alcool et d’amours clandestines, sujets de prédilection du genre. Diva de l’underground algérien ? Difficile à dire, mais il reste que la chanteuse qui a évolué dans le milieu interlope du raï trab (le raï des origines, le raï des campagnes) elle a gagné ses titres de noblesse, devenant le sujet d’un article d’une journaliste suisse tout en s’imposant sur une scène raï européenne. Comme quoi, il faut d’abord gagner sa notoriété outre-méditerranée, pour gagner en estime chez soi.
Textes choisis
Bien entendu, aucune traduction aussi fine soit-elle ne peut rendre «la dimension poétique de ces chansons».
Cheikha Sonia chante seule cette douce mélopée. Des paroles un peu décousues mais on serait presque entrain d’écouter de la variété ordinaire.
Ouled bladi zaynine ou khir men el gaouriYal ezzine bladiLa ilha illa allah rahi katbaYa ghzal Reghaia ma neddikchi
Les fils de mon pays sont plus beaux que les européensVive la beauté de mon paysIl n y a de Dieu que Dieu, c’est le destinBeauté de Reghaia, je ne te prendrai pas pour époux
Avec Amer El Berrouagui, une chanson en duo «très branchée»
Lui : Maglou’a bippi ou a’awdiouel rousardje ana nkhalsouHadi hiya a’ouaydimdari bi djibi nfelsou
Elle : Mellit men flexage lgit rouhi ghaltaKi nahderlek a’la zwedj tsabbarni bkarta.
Folle bippe-moi encore encoreLa carte de recharge c’est moi qui te l’offreC’est mon habitudeDe me ruiner
J’en ai marre du rechargement électronique
quand je te parle de mariage
m‘offres une carte de recharge téléphonique
Cheikha Sonia Amer el Berrouagui Carta
Amer El Berrouagui souffre parfois. Il chante et explique sa déchéance.
El kes ou had ettofla tawou’niMa khellaounich nsod lel qablaAh Rabah heraizy khouya melhoub rani a’maKoul youm el birra ou nzid el qofla
L’alcool et cette fille m’ont asserviIls ne m’ont pas laissé voir DieuMon confident Rabah, mon frère, par l’amour je suis devenu aveugleTous les jours la bière et «les boutons» (allusion aux amphétamines)
D’autres succès à inscrire au palmarès du duo infernal Amer el Berrouagui et cheikha Sonia comme «Chrab errouchi» vantant les souvenirs des bacchanales clandestines sur des rochers, loin des yeux des curieux.
Cheikh Mamou qui sévit dans le genre depuis plus de dix ans, a aussi des succès actuels comme :
Koul youm ta’yetli ou ma a’reft chkouneZadet galetli ndirou l’amour fettilifoune
Elle m’appelle tous les jours et je ne sais pas qui est- ceelle me dit encore on fait l’amour au téléphone
Un des grands succès 2008 de Cheikh Mamou, en duo avec Cheikh Chai’b, une chanson drôle El gra’a ouel gara’a darou l’amour fezra’ (le chauve et la chauve ont fait l’amour dans les champs) ou le comique le dispute à un sens particulier de la gestion des urgences et une description drôle des scènes bucoliques.
El gra’a ouel gara’a darou l’amour fezra’Yaou lahsida gdatSadjra ma bqatChaalet ferrai’ ou smah fel ghnem Le chauve et la chauve ont fait l’amour dans les champsLa récolte a flambéAucun arbre n’est resté deboutLe berger a pris feuEt a abandonné le troupeau
Cheikh Cha’ib lui a marqué son public avec «chrab lahsida», la beuverie dans les champs de blé, un texte dont on retiendra quelques fragments.
Chrab lahsidaYa rih ouel mauvi tempsOuenti khabta Chrab lahsidaNetabou’ el maydaSaqsou laaridaYa ouine bayta Chrab lahsidaEnnas tesker nechouahOu ntiya zaafa Boire dans les champsLe vent et le mauvais tempset toi saoule Boire dans les champsOn poussera la table basseDemandez à la grosseOù est-ce qu’elle a passé la nuit Boire dans les champsLes gens se saoulent par plaisirEt toi de colère
Mamou et Cha’ib ont également laissé dans le genre Staïfi pour exprimer son amour pour une danseuse. Nezdam lel barA’la djal ouelfi ndir batoireManich haggarA’la djalak nouelli clochard Nechroub essem neztalOua rouge ou les goutteLel bar nezdam bechafraya loukan nmouta Je vais foncer au barPour mon amour je vais en faire un abattoirJe ne suis pas un mauvais garçonMais pour toi je deviens clochard Je bois du poison, je me shooteJe prend du vin rouge et des gouttesAvec une feuille de boucher je fonce au barMême si je dois y laisser ma vie
In Les Débats du 21-27 octobre 2009Par Amine Esseghir
A l’image du raï des années 70 et 80, le genre gasba (qui en fait est un amalgame de genres musicaux qui utilisent l’instrument, el gasba, la flûte de roseau) a conquis sa propre scène. Une scène marginale, autant par ses réseaux que par son public, serions-nous tentés de dire. Dans un pays musulman, engoncé dans un conservatisme qui tient la société à l’étroit, les chanteurs, les poètes et les musiciens louangent l’alcool, les amours clandestines et parfois les drogues dites douces. De fait, à cause de leurs paroles et des idées qu’ils sont censés véhiculer, ce genre s’exclut de la scène officielle. Mais on comprend aussi que ces artistes, qui chantent et créent, se sont dotés de leur propre scène, de leurs propres relais et ainsi vivent de leur art parfois mieux que les artistes reconnus par les scènes officielles.
Non dénués de solidarité, à chaque rechqa (moment de l’annonce des dédicaces et des sommes allouées par les spectateurs pour ce faire) on entend lors de leurs tours de chant « fi khater untel ettaxieur, rabbi y sellek srahou » (je dédie la chanson à untel le chauffeur de taxi, puisse Dieu le libérer, en fait le bonhomme est en taule). Ce genre de dédicaces, loin de constituer un choc pour les spectateurs auditeurs, révèle l’identité des présents. La prison, comme la déchéance, font partie de leur quotidien. On pourrait supposer un contexte de profonde remise en question de l’ordre établi (on tombe amoureux d’une danseuse de cabaret dans les chansons, cela ne pose pas de problèmes) certes de manière maladroite et vantant l’illégalité de ceux absents condamnés et sujets des pensées des présents. Mais faute d’un discours de soutien clair et sans ambigüité, il n’en est rien. Les chanson restent dans les cabarets et dans les mémoires enivrées des auditeurs. Scène undergournd qui n’a pas ses radios libres, ni ses revues ni ses publications spécialisées, mais qui a ses CD.
Les chanteurs éditent et se font écouter. Dans des pochettes mal faites, mal imprimées, les supports numériques (parfois en MP3 pour contenir dix ou quinze albums à la fois) font partie des discothèques de routiers, de chauffeurs de taxi au long cours, de militaires ou de maçons qui errent de chantier en chantier. On trouve aussi quelques intellectuels ou des gens propres sur eux qui raffolent aussi de ce genre musical. La gasba fédère, comme a fédéré le raï en son temps. Genre ancré dans son époque, la gasba a aussi connu l’espace cybernétique. Sur les sites internet aussi célèbres que youtube ou dailymotion, on retrouve ces chanteurs d’un genre particulier, on les retrouve aussi sur des sites dédiés à la musique algérienne, tel dzmusique. Bien entendu, point de label indépendant, mais seulement une scène, discrète, constituée d’abord des malahi, ces cabarets qui sentent le souffre qui ont fleuri dans les années 90.
Le bouche à oreille faisant le reste, des cheikh Mamou, cheikh Cha’ib, cheikh Cherif Ould Saber, Djilali Tiarti, Cheikha Sonia ou Cheikh Amer El Berrouaghi font le plein et animent des scènes qui le leur rendent bien.
Cheikha Djenia
Elle avait marqué son temps dans les années 90. Elle est morte à 50 ans, dans un accident de voiture, en 2005. Elle avait eu l’heur de sortir des bas-fonds et de se faire connaître médiatiquement. Ses chansons ont brisé le silence autour des difficultés des femmes vivant dans les régions rurales. Elle avait marqué son auditoire avec Kayen rabi, même si elle ne se gênait pas pour parler d’alcool et d’amours clandestines, sujets de prédilection du genre. Diva de l’underground algérien ? Difficile à dire, mais il reste que la chanteuse qui a évolué dans le milieu interlope du raï trab (le raï des origines, le raï des campagnes) elle a gagné ses titres de noblesse, devenant le sujet d’un article d’une journaliste suisse tout en s’imposant sur une scène raï européenne. Comme quoi, il faut d’abord gagner sa notoriété outre-méditerranée, pour gagner en estime chez soi.
Textes choisis
Bien entendu, aucune traduction aussi fine soit-elle ne peut rendre «la dimension poétique de ces chansons».
Cheikha Sonia chante seule cette douce mélopée. Des paroles un peu décousues mais on serait presque entrain d’écouter de la variété ordinaire.
Ouled bladi zaynine ou khir men el gaouriYal ezzine bladiLa ilha illa allah rahi katbaYa ghzal Reghaia ma neddikchi
Les fils de mon pays sont plus beaux que les européensVive la beauté de mon paysIl n y a de Dieu que Dieu, c’est le destinBeauté de Reghaia, je ne te prendrai pas pour époux
Avec Amer El Berrouagui, une chanson en duo «très branchée»
Lui : Maglou’a bippi ou a’awdiouel rousardje ana nkhalsouHadi hiya a’ouaydimdari bi djibi nfelsou
Elle : Mellit men flexage lgit rouhi ghaltaKi nahderlek a’la zwedj tsabbarni bkarta.
Folle bippe-moi encore encoreLa carte de recharge c’est moi qui te l’offreC’est mon habitudeDe me ruiner
J’en ai marre du rechargement électronique
quand je te parle de mariage
m‘offres une carte de recharge téléphonique
Cheikha Sonia Amer el Berrouagui Carta
Amer El Berrouagui souffre parfois. Il chante et explique sa déchéance.
El kes ou had ettofla tawou’niMa khellaounich nsod lel qablaAh Rabah heraizy khouya melhoub rani a’maKoul youm el birra ou nzid el qofla
L’alcool et cette fille m’ont asserviIls ne m’ont pas laissé voir DieuMon confident Rabah, mon frère, par l’amour je suis devenu aveugleTous les jours la bière et «les boutons» (allusion aux amphétamines)
D’autres succès à inscrire au palmarès du duo infernal Amer el Berrouagui et cheikha Sonia comme «Chrab errouchi» vantant les souvenirs des bacchanales clandestines sur des rochers, loin des yeux des curieux.
Cheikh Mamou qui sévit dans le genre depuis plus de dix ans, a aussi des succès actuels comme :
Koul youm ta’yetli ou ma a’reft chkouneZadet galetli ndirou l’amour fettilifoune
Elle m’appelle tous les jours et je ne sais pas qui est- ceelle me dit encore on fait l’amour au téléphone
Un des grands succès 2008 de Cheikh Mamou, en duo avec Cheikh Chai’b, une chanson drôle El gra’a ouel gara’a darou l’amour fezra’ (le chauve et la chauve ont fait l’amour dans les champs) ou le comique le dispute à un sens particulier de la gestion des urgences et une description drôle des scènes bucoliques.
El gra’a ouel gara’a darou l’amour fezra’Yaou lahsida gdatSadjra ma bqatChaalet ferrai’ ou smah fel ghnem Le chauve et la chauve ont fait l’amour dans les champsLa récolte a flambéAucun arbre n’est resté deboutLe berger a pris feuEt a abandonné le troupeau
Cheikh Cha’ib lui a marqué son public avec «chrab lahsida», la beuverie dans les champs de blé, un texte dont on retiendra quelques fragments.
Chrab lahsidaYa rih ouel mauvi tempsOuenti khabta Chrab lahsidaNetabou’ el maydaSaqsou laaridaYa ouine bayta Chrab lahsidaEnnas tesker nechouahOu ntiya zaafa Boire dans les champsLe vent et le mauvais tempset toi saoule Boire dans les champsOn poussera la table basseDemandez à la grosseOù est-ce qu’elle a passé la nuit Boire dans les champsLes gens se saoulent par plaisirEt toi de colère
Mamou et Cha’ib ont également laissé dans le genre Staïfi pour exprimer son amour pour une danseuse. Nezdam lel barA’la djal ouelfi ndir batoireManich haggarA’la djalak nouelli clochard Nechroub essem neztalOua rouge ou les goutteLel bar nezdam bechafraya loukan nmouta Je vais foncer au barPour mon amour je vais en faire un abattoirJe ne suis pas un mauvais garçonMais pour toi je deviens clochard Je bois du poison, je me shooteJe prend du vin rouge et des gouttesAvec une feuille de boucher je fonce au barMême si je dois y laisser ma vie